dimanche 28 février 2010

Sur la piste des métis

Un forum de discussion qui porte sur la généalogie des métis du Québec sur le site La Nation Autochtone du Québec. On comprend en visitant ce forum qu'il faut départager le vrai du faux dans les "traditions orales" sur les prétendues origines amérindiennes de certaines familles québécoises. Les discussions portant sur un ouvrage intitulé "Algonquins de Trois-Rivières : L'oral au secours de l'écrit 1600-2005" sont particulièrement révélatrices à cet égard (ici).

Madame Dominique Ritchot écrivait sur le forum que cet ouvrage a fait l'objet d'une critique dans les Mémoires de la Société généalogique canadienne-française (vol. 58, no. 1, cahier 251, printemps 2007, pp. 81-87), sous la plume de Serge Goudreau. Monsieur Goudreau fait valoir que les auteurs n'ont pas consulté les sources primaires indispensables à ce type de recherches (PRDH, documents notariés, aveux de dénombrements, recensements, pétitions de demandes de terres, etc.) pour plutôt se concentrer sur des sources internet peu fiables (entre autres, le site de D. Garneau). De plus, les auteurs ont carrément inventé de toutes pièces des ascendances amérindiennes (familles Noël, Langlois, Denevers).

Mme Ritchot concluait en écrivant : il est dommage qu'un tel ouvrage se trouve aujourd'hui sur les tablettes des librairies et éventuellement des bibliothèques, car des chercheurs néophytes pourraient être bernés.

Monographie de la famille Lavergne













Mme Yvette Lavergne-Giguère (1917-1997) de Saint-Boniface, qui a été la présidente-fondatrice de l'Association des familles Lavergne, a publié - à quelques dizaines d'exemplaires seulement - un document intitulé "Monographie de la famille Lavergne de Rivière-du-Loup En-Haut, de Maskinongé et d'Yamachiche". L'année de publication n'est pas indiquée.

L'auteure ne raconte pas vraiment l'histoire des Lavergne mais elle reproduit différents matériaux qui pourraient servir à écrire cette histoire : extraits des registres d'état civil, actes notariés et procès-verbaux des voyers du gouvernement des Trois-Rivières. Elle présente aussi une ébauche des cinq premières générations des descendants d'Ambroise Lavergne et de Madeleine Joyal-Quercy. Cette information devait servir à l'élaboration d'un dictionnaire généalogique des Lavergne, un projet qui, à ma connaissance, ne s'est pas concrétisé. Les activités de l'Association des familles Lavergne ont cessé après le décès de sa présidente en 1997.


samedi 27 février 2010

Sa Grandeur échappe à un accident

« On nous apprend que Sa Grandeur Mgr des Trois-Rivières a failli être victime d’un grand accident à Pierreville, village sauvage où elle est en visite pastorale. Le défilé de la procession avait à peine dépassé l’endroit où se trouvait un canon que l’on tirait en signe de réjouissance, que la pièce éclata en mille morceaux. Heureusement Sa Grandeur ni aucune autre personne n’ont pas été blessées. Il est rumeur que deux sauvages avaient surchargé le canon à dessein et qu’il y aura enquête à ce sujet. » Le Journal des Trois-Rivières (10 juin 1880): 2, col. 5.

J'ai trouvé cette perle sur le site Bases de données en histoire régionale de la Mauricie du Centre interuniversitaire d'études québécoises.

"Sa Grandeur" Louis-François Richer dit Laflèche (1818-1898) a été évêque du diocèse de Trois-Rivières de 1870 à 1898. Il voyageait beaucoup dans son diocèse (voir du rapide des Hêtres à Chawinigane) et se rendait souvent visiter les réserves amérindiennes. Avant de devenir évêque, il a été missionnaire au Manitoba et dans le Dakota du Nord. Mgr Laflèche parlait couramment le cri, le montagnais et l'ashinibabe. Il a aussi été le premier auteur à donner une forme grammaticale à la langue montagnaise.

En 1700, une partie de la Seigneurie de Pierreville avait été concédée aux Abénaquis qui étaient des alliés des Français dans les guerres contre les Iroquois et les Anglais. Leur village a été détruit par les troupes anglaises en 1759. Ces terres font aujourd'hui partie de la réserve d'Odanak.


vendredi 26 février 2010

Des élèves de l'Académie Saint-Marc en 1927

Cette photo de classe montre des élèves de l'Académie Saint-Marc en 1927, une école secondaire pour filles qui était située près de l'hôpital Sainte-Thérèse dans la paroisse Saint-Marc de Shawinigan. La photo appartenait à Lucille Lavergne, fille d'Adélard Lavergne et d'Azilda Leclerc de Shawinigan, la plus jeune des soeurs de ma grand-mère Blanche Lavergne. Lucille Lavergne a épousé Julien Vallière, fils d'Herménégilde et d'Exilia Couture, le 1er septembre 1941 dans la paroisse Christ-Roi de Shawinigan.

On aperçoit de gauche à droite en commençant par l'arrière : Lucille Lavergne, Georgette Villemure, Onéda Maheu, Thérèse Bellemare, Yvette Alard, Simone Paquin, Marie Lord Lajoie, Rachel St-Onge, Thérèse Bergeron, Yvette Cloutier, Oline Fougère, Agnès Terrien, Irène Legot, Cécile Lafrenière, Gabrielle Hâlée, Simone Gélinas, Fernande Lafrenière, Jeanne Defond et Florelle Bédard.

Ces jeunes filles avaient environ 15 ans. Ce devait donc être une classe de 10e année, ce qui correspond au secondaire 3 aujourd'hui. La photo a été prise dans la cour de l'école.

Ajout du 12 juillet 2010 : "En 1915, on commença la construction de l'Académie Saint-Marc et dans le mois de septembre les Soeurs Ursulines en prenaient la direction. De leur monastère de la rue Hemlock, elles voyageaient chaque jour, matin et soir, pour aller y enseigner. Il en fut ainsi jusqu'en 1922, au moment où les Soeurs Grises prirent charge de l'institution ... D'octobre 1928 à l'automne 1929, la construction d'un agrandissement doublait la capacité de l'Académie Saint-Marc."  (Source : Larochelle, Fabien. Shawinigan depuis 75 ans. Pages 317 et 319)

jeudi 25 février 2010

La vin de l'assassin

Un poème que j'ai mémorisé pour le réciter dans un cours de littérature française vers 1970. Il raconte l'histoire d'un ivrogne qui a choisi le vin plutôt que sa femme. Je crois que c'est l'humour morbide du texte de Beaudelaire qui avait plu à l'adolescent que j'étais à l'époque.

Pour l'humour morbide, j'aimais bien celui du troisième quatrain : "autant de vin qu'en peut tenir son tombeau ; ce n'est pas peu dire." Pour le macabre et le mépris de la mort : "Le wagon enragé peut bien écraser ma tête coupable ou me couper par le milieu, je m'en moque comme de Dieu, du Diable ou de la Sainte Table !"

Le vin de l'assassin a été publié dans le recueil "Les Fleurs du mal "en 1857. Léo Ferré en a fait une chanson (ici).


Le vin de l'assassin

Ma femme est morte, je suis libre !
Je puis donc boire tout mon soûl.
Lorsque je rentrais sans un sou,
Ses cris me déchiraient la fibre.

Autant qu’un roi je suis heureux ;
L’air est pur, le ciel admirable..
Nous avions un été semblable
Lorsque j’en devins amoureux !

L’horrible soif qui me déchire
Aurait besoin pour s’assouvir
D’autant de vin qu’en peut tenir
Son tombeau ; — ce n’est pas peu dire :

Je l’ai jetée au fond d’un puits,
Et j’ai même poussé sur elle
Tous les pavés de la margelle.
— Je l’oublierai si je le puis !

Au nom des serments de tendresse,
Dont rien ne peut nous délier,
Et pour nous réconcilier
Comme au beau temps de notre ivresse,

J’implorai d’elle un rendez-vous,
Le soir, sur une route obscure.
Elle y vint ! — folle créature !
Nous sommes tous plus ou moins fous !

Elle était encore jolie,
Quoique bien fatiguée ! et moi,
Je l’aimais trop ! voilà pourquoi
Je lui dis : Sors de cette vie !

Nul ne peut me comprendre. Un seul
Parmi ces ivrognes stupides
Songea-t-il dans ses nuits morbides
À faire du vin un linceul ?


Cette crapule invulnérable
Comme les machines de fer
Jamais, ni l’été ni l’hiver,
N’a connu l’amour véritable,

Avec ses noirs enchantements,
Son cortége infernal d’alarmes,
Ses fioles de poison, ses larmes,
Ses bruits de chaîne et d’ossements !

— Me voilà libre et solitaire !
Je serai ce soir ivre mort ;
Alors, sans peur et sans remord,
Je me coucherai sur la terre,

Et je dormirai comme un chien !
Le chariot aux lourdes roues
Chargé de pierres et de boues,
Le wagon enragé peut bien

Écraser ma tête coupable
Ou me couper par le milieu,
Je m’en moque comme de Dieu,
Du Diable ou de la Sainte Table !

Du rapide des Hêtres à Chawinigane en 1888

Napoléon Caron, Deux voyages sur le Saint-Maurice, Trois-Rivières, Librairie du Sacré-Coeur, 1889.

L'abbé Napoléon Caron (1846-1932) était chanoine à la paroisse Immaculée-Conception de Trois-Rivières. Il a publié en 1889, sous le titre "Deux voyages sur le Saint-Maurice" le récit de voyages qu'il a effectués en Mauricie en 1887 et 1888 avec Monseigneur Louis-François Laflèche, évêque du diocèse des Trois-Rivières.

Quand l'abbé Caron a descendu la rivière, en 1888, les villes de Grand-Mère, Shawinigan et Shawinigan-Sud n'existaient pas encore. Les chutes de La Grand-Mère et de Shawinigan étaient des obstacles infranchissables qu'il fallait contourner par le portage du canot. Entre les deux, il y avait aussi un autre portage, celui du rapide des Hêtres qu'il était trop risqué de descendre en embarcation légère. À cet endroit, la rive Est de la rivière appartenait à la paroisse de Mont-Carmel et la rive Ouest à celle de Sainte-Flore.

En 1888, les deux rives étaient encore boisées et presque inhabitées; il y avait bien quelques fermes mais les villages avaient été construits plus loin à l'intérieur des terres et n'étaient donc pas visibles de la rivière. Mon arrière-grand-père Adélard Lavergne (photo ci-contre) possédait des terres dans la paroisse de Sainte-Flore, passé le rapide des Hêtres. Napoléon Caron parlait peut-être de ses vaches, ou de celles de son père Louis Lavergne, quand il écrivait : "les vaches qui ruminent tranquillement sur le rivage nous font bien voir que les habitations ne sont pas très éloignées".

Je reproduis des extraits du récit de l'abbé Caron pour sa description du parcours de la rivière, malgré ses défauts, dont le principal est la manie qu'il avait de renommer les choses selon sa fantaisie : un canot devient une pirogue, une rivière est un fleuve, un draveur est un flotteur et un billot est une bûche. L'embarcation utilisée par Caron était un canot d'écorce, une embarcation légère conçue pour faciliter le portage. Il appelle le Saint-Maurice fleuve plutôt que rivière par patriotisme (sic) à cause de sa largeur. Les pièces de bois qu'il nomme bûches étaient des billots de pin de 12 pieds de long qui servaient à la construction maritime. Notez aussi une erreur de géographie dans son récit : la montagne des Hêtres, où j'ai joué dans mon enfance, se trouve du côté ouest de la rivière, autrefois Sainte-Flore, et non pas du côté de Mont-Carmel.

Malgré ces quelques défauts, le récit de l'abbé Caron mérite d'être lu parce qu'il nous livre une belle description de la rivière Saint-Maurice à son état naturel, avant l'urbanisation de ses rives. C'est pourquoi j'ai pris le temps d'en retranscrire une partie sur ce blog. Voici l'extrait qui commence à la page 201 du livre :

(...) Vous êtes-vous déjà demandé à quel endroit le Saint-Maurice est le plus beau? Eh bien! Je peux vous répondre en toute sûreté que c'est en haut du rapide des Hêtres et nous sommes actuellement en cet endroit. Ici les côtes ne sont pas très élevées, mais elles sont couvertes d'arbres choisis qui forment une bordure magnifique. Le courant est assez rapide, et l'eau paraît couler à pleins bords. La rivière a plus de quinze arpents de large. Oui, le Saint-Maurice est beau dans cette partie de son cours, il est beau comme le Saint-Laurent lui-même; croyez, cher lecteur, que je tire cette comparaison du plus profond de mon coeur de patriote canadien.

Une grande batture s'étend devant nous : c'est la batture des Hêtres; veuillez bien retenir ce nom.

Une chose ici me surprend beaucoup : Quand nous sommes partis des Piles, nous avions vent arrière; le vent n'a certainement pas changé de direction, et voilà cependant qu'il souffle à l'avant de notre pirogue. Le fleuve va donc ici du sud au nord (...) Il faut remarquer que le Saint-Maurice ne tarde pas à reprendre sa direction ordinaire.

Les terres nous paraissent bien belles à l'endroit où nous sommes, et en avançant un peu nous nous trouvons vis-à-vis une pointe déboisée.

Nous entendons bûcher dans la forêt: ce sont des habitants de Sainte-Flore qui sont occupés à lever de l'écorce de Pruche. La paroisse de Sainte-Flore s'étend jusqu'au pied du rapide que nous allons maintenant apercevoir.

Nous voici à l'île des Hêtres qui prend son nom du rapide qui l'avoisine, car pour des hêtres, il est bien douteux qu'elle en porte un seul. Cette île est assez grande pour former un établissement, et la terre y paraît être de bonne qualité.

Mais écoutez ce bruit que nous apporte la brise : c'est le rapide qui chante pour endormir la grande forêt. Nous abordons ici car le rapide des Hêtres n'est pas un petit bonhomme qu'on puisse mépriser : on le brave avec de grands canots ou des barges, mais pour notre petite pirogue, il faut qu'elle évite le géant sous peine d'être broyée dans ses bras redoutables.

Donc, il faut faire un nouveau portage. Comptez bien sur vos doigts : c'est le troisième, n'est-ce pas? depuis le pied des Grandes Piles.

Enfin nous débouchons sur la rivière, au pied du rapide des Hêtres.

Ce rapide prend son nom des hêtres qui se trouvent sur une montagne voisine du côté de Notre-Dame du Mont-Carmel. Il a plus de hauteur que les Grandes-Piles, plus aussi que les Petites Piles, mais la pente des eaux y est un peu plus douce. M. Elzéar Guérin qui le sautait en 1871, le qualifiait ainsi : "Pas plus formidable que les Petites Piles, mais beaucoup plus embarrassé. Selon la mode suivie sur le Saint-Maurice, le rapide des Hêtres est partagé en trois courants; celui du milieu est le plus considérable. Au bas, le mouvement des eaux est terrible à voir".

(...) Le fleuve est toujours large et beau; le pays paraît un peu sauvage, mais les vaches qui ruminent tranquillement sur le rivage nous font bien voir que les habitations ne sont pas très éloignées.

En regardant devant nous, il nous semble que la rivière se trouve brusquement bouchée à quelques arpents de nous ; cela se voit de temps en temps sur le Saint-Maurice, car il lui arrive de changer subitement de direction, comme un homme qui a perdu sa route.

Il y a quelques îles sans importance qui se trouvent ici sur notre passage. Et comme j'aperçois, sur notre droite, une pointe de terre bien plane, bien boisée d'ormes, de frênes et d'érables, je demande à mon guide comment on appelle ce superbe endroit; il me répond : "C'est la pointe-à-Bernard (...)

Mais qu'y a-t-il donc? On peut à peine comprendre quelle est la direction du fleuve : il serpente, il se perd au milieu de plusieurs îles verdoyantes. Sachez bien le comprendre, mon cher lecteur : le Saint-Maurice se cache, il se recueille; parce qu'il médite son chef-d'oeuvre ; encore un instant, en effet, et il va former son Niagara, la la belle chute de Chawinigane.

Nous passons le premier pilier des estacades, qui paraît là comme la première sentinelle d'un camp bien tenu. La maison de M. Basile Thibault s'élève blanche et coquette au milieu d'une nature sauvage. À notre droite s'avance une crête de rocher couverte de jeunes arbres, à notre gauche le fleuve, qui a réuni ses eaux, forme une anse magnifique. (...)

Tout vaisseau qui descend ou qui remonte le Saint-Maurice doit faire portage à Chawinigane. (...) M. Maurice, son canot sur la tête, prit la droite en s'accrochant aux branches pour grimper (...) Au bout de quelques instants, nous étions en face de la baie de Chawinigane. Des milliers de bûches la couvraient littéralement, attendant au sein d'une espèce de sommeil que les flotteurs les dirigeassent dans le courant, pour les descendre vers les scieries de la ville ... Nous sommes obligés d'écarter les bûches pour nous frayer un passage, c'est une besogne lente et qui demande beaucoup de précautions, surtout quand on n'est séparé des flots que par l'épaisseur d'une fragile écorce. Mais nous tombons enfin dans un espace libre, et alors nous cinglons rapidement vers la maison de M. Arthur Rousseau, gardien des estacades. Tout en marchant, nous regardons avec une espèce de frayeur l'énorme quantité de sable qui s'est déposée cette année dans la baie de Chawinigane.

On peut lire "Deux voyages sur le Saint-Maurice" en ligne sur le site Nos Racines (ici)

mercredi 24 février 2010

Les Laurentides sont un Éden

Frère Marie-Victorin, Flore Laurentienne, Deuxième édition mise à jour par Ernest Rouleau, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1964.

Conrad Kirouac (1885-1944), mieux connu sous le nom de Frére Marie-Victorin, a publié en 1935 sa Flore laurentienne qui demeure un manuel de référence en matière de botanique au Québec. L'exemplaire que j'ai en main est la deuxième édition mise à jour par Ernest Rouleau et publiée aux Presses de l'Université de Montréal en septembre 1964. Il existe une édition papier plus récente, qui date de 1995, de même qu'une édition en ligne (ici). Je reviendrai sur cette mise en ligne de la Flore Laurentienne qui a été réalisée par Nichole Ouellette.

On connait Marie-Victorin le naturaliste et fondateur du Jardin botanique de Montréal, mais Conrad Kirouac était aussi un littéraire. Il a publié deux recueils de nouvelles : "Récits laurentiens" en 1919 et "Croquis laurentiens" en 1920. Il y a plusieurs niveaux de lecture dans sa Flore Laurentienne. Voici un extrait de l'Esquisse générale que l'on trouve à la page 73 de l'édition de 1964 :

Les Laurentides sont un Éden, un Éden boréal et un peu sévère peut-être, mais où la vie déborde, riche, fraîche, vigoureuse. Arrêtons-nous ici un instant à imaginer la silencieuse remontée des unités militantes de la forêt canadienne vers le nord. C'est un grand tableau biologique déployé sur le mur des temps révolus.

D'abord parurent, sombres et drus, ces rudes pionniers: l'Épinette noire et l'Épinette blanche, le Sapin baumier et le Mélèze, et plus tard, beaucoup plus tard, la majesté myriadaire des Pins. Puis, suivirent les Peupliers et les Bouleaux, les Aulnes et les Viornes, les Cornouillers et les Airelles. Et l'Érable à sucre prit possession des moraines bien draînées sur les flancs des collines; l'Érable rouge se fixa sur les alluvions fraîches des vallées, et l'Érable argenté se pencha sur la course des fleuves. Si bien qu'après des siècles et des siècles, la constitution définitive de la forêt dans ses différents climax fit de notre pays une grande masse de verdure continue. Et voici maintenant, sur les pas des grands arbres, les légions graciles des Graminées, la multitude des Carex, les robustes Eupatoires, les opulentes Verges d'or, et combien de centaines d'autres plantes, poussées en avant par l'esprit de conquête qui est l'âme de tout ce qui vit.


(Cet extrait a été cité sur l'Encyclopédie de l'Agora)


mardi 23 février 2010

Que signifie cette photo ?

Une photo qui m'intrigue depuis longtemps parce que je ne comprend pas ce qu'elle signifie. On y voit mêlés trois groupes différents : des ouvriers, des notables (un officier de police et peut-être aussi des politiciens) et des hommes à l'allure sportive qui tiennent en laisse des chiens de race. Une course de chiens ? Y avait-il des courses de chiens à Shawinigan ? Une compétition de chasse ?

La photo a été prise devant l'ancien hôtel de ville. qui a été démoli en septembre 1945. On reconnait facilement l'escalier et les deux lampadaires sur la carte postale ci-contre. La photo avec les chiens est donc antérieure à cette date.

Je connais un des personnages : l'homme en salopette à gauche était Sem-Wilfrid Descôteaux, (1906-1997), menuisier, le second mari de ma grand-mère maternelle Blanche Lavergne. Il paraît jeune, peut-être vingt-cinq ou trente ans, ce qui situerait la photo avec les chiens au début des années trente. Il a quitté Shawinigan avec sa famille vers 1935 pour aller s'établir à Landrienne en Abitibi.

Une dernière observation : le personnage du centre était probablement quelqu'un d'important. Il y a un vide autour de lui; les autres se sont tassés pour lui laisser de l'espace.

J'ai douze ans madame

Clare DeGraffenreid, une auteure américaine du XIXe siècle, raconte cette conversation avec un enfant Canadien-français en Nouvelle-Angleterre :
- «How old are you ? a child was asked.
- J'ai douze ans madame.
- How long since you came from Canada ?
- La semaine dernière.
- And when you left Canada how old where you ?
- Au Canada, madame, je n'avais que dix ans.»
(cité dans : Roby, Yves. Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre. page 71)

Clare DeGraffenreid (1849-1921) a été l'une des premières femmes économistes. Membre de l'American Economic Association, elle s'intéressait surtout à des sujets sociaux comme l'immigration - elle était contre l'immigration de masse - et le travail des femmes et des enfants.

L'Amoskeag

Tamara K. Hareven et Randolph Langenbach, Amoskeag : Life and Work in an American Factory City, Hanover NH, University Press of New England, 1978, 395 pages.

Si des personnes de votre famille sont allées autrefois travailler à Manchester dans le New Hampshire, il y a de très fortes chances qu'elles aient été à l'emploi de l'entreprise de textile Amoskeag. Ce complexe industriel géant a employé jusqu'à 15 000 personnes dont environ un tiers de Canadiens français. Les usines étaient construites sur les deux rives de la rivière Merrimack. Elles donnaient l'impression d'une grande muraille de briques qui s'étirait sur un mille de long. Les ouvriers canadiens français habitaient sur la rive Ouest de la rivière dans un quartier appelé "Le petit Canada".

Les auteurs Tamara K. Hareven et Randolph Langenbach ont publié en 1978 "Amoskeag : Life And Work In An American Factory City", une étude qui est devenue la référence sur l'histoire de cette entreprise. J'en reproduis un large extrait qui traite de la main-d'oeuvre canadienne française. Il commence à la page 18 du livre :

Starting in the 1870s, French-Canadian immigrants, driven from rural Quebec by land scarcity, depleted farms, and poverty, began to enter the labor force of the Amoskeag mills. One of the interviewees, repeating her father's deathbed admonition, expressed the despair shared by many Quebec farmers : "When I'm gone, don't keep this land. Sell it." By 1900, the already recruitment of French Canadians into the Amoskeag had significantly altered the Manchester's population. Quebecois priests, who had earlier resisted their parishioner's immigration to New England, now succombed to that stream of migration and proceeded to establish parishes in their new locations; the first French parishes were founded in the 1890s.
The Amoskeag Company, like other New England companies, soon concluded that the French Canadians were the ideal labor force and proceed to recruit them systematically. By the end of the nineteenth century, mill agents from New England had become a well known phenomenon along the Quebec countryside. The editor of the Quebec newspaper Le Travailleur testified before the Massachusets Bureau of Labor Statistics about the pervasiveness of this practice :

I have a letter from a agent of the Boston and Maine Railroad who says he is ready to testify that since two years, no less than one-hundred superintendants or agents of mills have applied to him for French help, one mill asking for as many as fifty families at a time."
The Amoskeag had a special advantage in the recruitment of French Canadians because of its location on the railroad route between Montreal and Boston. In addition, the Amoskeag advertisement in Quebec newspapers, including elaborate descriptions of the fine working conditions and attractive opportunoties, accompanied by photographs of the millyard, were all designed to attract farmers as well as industrial workers. The typical advertisement read as follows:

More than 15,000 persons work in these mills that border on both sides of the river. Their wages allow them comfort and ease and all seem to be content with their lot. It is true that the larger company to wich they sell their labor treats them as its own children...[The article here proceeds to enumerate the welfare activities of the Company,] That is the reason why the Amoskeag Company has never had any trouble with is employees. It treets them not as machines but as human beings, as brothers who have a right not only to wages but also to the pleasur of life... Its employees work not only to earn a wage but to please their employers, who know how to treat them well. It has resolved with justice to itself and its workers the problem of the relations between capital and labor.
This migration to Manchester was part of a larger Canadian influx to other New England industrial towns. Manchester was exceptionnal, however, in the size and cohesion of the French-Canadian community that developped on its West Side from the beginning of the twentieth century. Even today, this section of the city is often referred to as Little Canada. By 1910, French Canadians comprised 35 percent of the Amoskeag's labor force and 38 percent of the city's population.

The fact that management recognised the French Canadians as a "docile", "industrious" and "stable" labor force made them especially welcome. They were partularly well suited to textile work because of the large number of children in their families. By contracting with one worker, the Amoskeag frequently could bring an entire family group into the mills, with the likehood that additional kin would follow later with their own large families as well.

Their emergence as a critical segment of the mill's labor force by no means gave the Frenc Canadians a position of power, though they did fill a signifiant portions of the skilled and semi-skilled jobs. The ranks of overseer and second hand were still confined, by and large, to native-born Americans, English, Scottish, and second-generation Irish, with an occasional sprinkling of Germans and Swedes, By the time the French Canadians might have had a chance to enter supervisorsory ranks, the Amoskeag was already on the decline, heading toward shutdown. As a result, the French Canadian drew their strnght from sheer numbers. In many workrooms, the bosses where forced to learn some French in order to maintain smooth operations.
La photo ci-dessous montre une fillette au travail à l'Amoskeag. Elle a été prise à l'improviste par Lewis Hine qui visitait l'usine en 1908. Le travail des enfants était chose fréquente pendant la révolution industrielle, avant que la législation sur les normes du travail ne devienne plus contraignante. La fréquentation scolaire était obligatoire en Nouvelle-Angleterre mais certaines familles mentaient sur l'âge de leurs enfants pour les envoyer à l'usine plutôt qu'à l'école.


Voir aussi sur ce blog :

dimanche 21 février 2010

Quand Grand-Mère était jeune

Florence Lawless-Lacroix, Quand Grand-Mère était jeune, 1999, 400 pages.

C'est une véritable mine d'or pour ceux qui s'intéressent à la petite histoire de Grand-Mère : 400 pages remplies d'anecdotes et un bon millier de photos. Quand Grand-Mère était jeune a été écrit par Florence Lawless -Lacroix qui est née dans cette ville en 1920. Il est ici question de la jeunesse de la ville mais aussi de celle de l'auteure qui parle abondamment de sa famille et de ses amis.

La recherche dans ce livre publié en 1999 exige une bonne dose de patience. Il n'y a pas d'index et l'auteure présente les familles dans un désordre alphabétique.

J'y ai trouvé des renseignements sur la famille du cordonnier Edmond Lacombe sur laquelle j'ai déjà blogué dans Les femmes du cordonnier Lacombe. En fait, je m'étais davantage intéressé à ses épouses, Dagneur Gélinas et Fridoline Blais, qu'à lui-même.

À la page 358 de son livre Florence Lawless-Lacroix écrit :

Quand monsieur Edmond Lacombe, ancien maire de Saint-Mathieu, déménagea à Grand-Mère, ce n'est pas un, mais cinq cordonniers qui arrivèrent en notre ville. En suivant son exemple, quatre de ses fils pratiquaient également ce métier. (...) La famille Lacombe s'est d'abord installée en haut de la côte à Grondin sur la rue Sainte-Catherine. De leur fenêtre, la vue était magnifique,découvrant la partie basse de la ville, la rivière Saint-Maurice et des boisés à perte de vue, mais en 1912, cette maison dû être déménagée de ce site privilégié afin de céder sa place au Rocher de Grand-Mère pour lequel on trouvait cet endroit idéal.

Alfred Lacombe est celui des fils d'Edmond qui garda sa cordonnerie en opération le plus longtemps. Celle-ci, située au coin 9e rue et 6e avenue, resta en service jusqu'en 1950, alors qu'elle fut transformée en magasin d'articles de sport. (...)

Aux arbres de chez nous

Jean-Louis Lessard a mis en ligne un cours de littérature québécoise (ici). Le cours se divise en 6 périodes allant des écrits de la Nouvelle-France (1534-1763) au postmodernisme (1980-2000). Il situe les oeuvres littéraires dans l'histoire et par rapport aux idéologies qui dominaient à l'époque où elles ont été écrites.

Dans le chapitre portant sur la période du terroir (1840-1945), on trouve une page qui présente six poèmes ayant pour thème l'arbre. Je reproduis ici le premier de ces textes intitulé Aux arbres de chez nous qui a été écrit par Albert Ferland (1872-1943). Il a été publié en 1909 dans le recueil "L'âme des bois". Ce recueil faisait partie d'un cycle "Le Canada chanté".

C'est peut-être uniquement la pause et les moustaches mais Ferland ressemble au peintre Salvador Dali sur cette photo. Voici son poème :

AUX ARBRES DE CHEZ NOUS

O le vert lumineux des feuilles que vous faites,
Arbres puissants des monts, des grèves, des marais.
Quand Mai revient sourire aux austères forêts,
Et fait chanter l'Amour dans la terre où vous êtes,
O le vert lumineux des feuilles que vous faites!

C'est bien, les Arbres bons, soyez verts, soyez beaux!
Votre œuvre est grande, et l'homme avec amour l'accueille;
Feuillez, feuillez, feuillez, gloire à l'Arbre qui feuille
Pour la source et les nids, pour l'homme et les troupeaux!
Veuillez, Arbres feuillant, splendeur des renouveaux!

Aimez notre pays, Pins noirs et beaux Érables.
Peuplez la plaine. Altiers et forts, gardez les eaux.
Sans vous nos lacs géants se feraient misérables,
Et les jours n'auraient plus le miroir des ruisseaux.
Aimez notre pays, Pins noirs et beaux Érables.

Vivez chez nous, vivez, vivez, Arbres vivants!
Frangez d'un vert profond la fuite des prairies;
Faites des fleurs, semez votre âme aux quatre vents;
Toujours aimés, soyez sans fin dans ma patrie;
Vivez chez nous, vivez, vivez, Arbres vivants!

samedi 20 février 2010

Grand-Mère par J.A. Roy (2)

Trois autres cartes postales en triptyque de J. A. Roy de Grand-Mère mais cette fois-ci en noir et blanc. Il lui arrivait de se répéter : remarquez les images du centre des deux premières cartes qui sont tirées d'une même photo.

La troisième carte présente les deux chutes de Grand-Mère, la petite et la grande, de même qu'une image de la débacle sur la rivière Saint-Maurice. Cette carte a été postée à Grand-Mère le 8 février 1911 par un nommé Roy Vickers. Elle était adressée à sa grand-mère Mrs Orendorff à Batavia dans l'État de New York.

vendredi 19 février 2010

Du Congo à Shawinigan

André Vermeire, Hubert Biermans : Du Congo à Shawinigan, Éditions du Septentrion, 2001.

André Vermeirre a publié a publié en 2001 une biographie de l'industriel et philantrope Hubert Biermans. Néerlandais d'origine, Biermans est arrivé à Shawinigan en 1900 pour inspecter le projet de la Belgo Canadian Pulp and Paper, communément appelée La Belgo, qui était financé par des capitaux belges. Il était âgé de trente-cinq ans seulement, fils de boulanger et sans instruction, mais il avait déjà acquis une solide expérience dans la construction des chemins de fer, notamment au Congo.

Biermans avait reçu comme mandat de liquider le projet qui était l'objet de rumeurs de malversations. Ses employeurs craignaient que l'usine ne devienne un gouffre financier. Après avoir examiné la situation, il recommanda plutôt d'aller de l'avant en augmentant le capital et en lui confiant la supervision du chantier. Il devint ensuite le directeur de l'usine et se fit construire sur la rue Maple une grande maison en bois de 35 pièces que les habitants de Shawinigan surnommèrent le Château rose. Il a pris sa retraite de la Belgo en 1926.

L'usine Belgo est demeurée en opération pendant plus de cent ans. Elle a été fermée définitivement en janvier 2008. Avec l'internet, la demande de papier n'est plus ce qu'elle était.

Grand-Mère vue par J.A. Roy

Deux cartes postales en couleurs de J.A. Roy qui était photographe à Grand-Mère. Il se spécialisait dans les triptyques, des cartes où l'on aperçoit trois images différentes. Les cartes datent probablement de 1905-1910. Les images prises par J. A. Roy témoignent des débuts d'une ville industrielle. Grand-Mère était alors la "company town" de la Laurentide.

L'image du haut de la première carte montre le bac qui servait à traverser la rivière Saint-Maurice avant la construction du pont suspendu en 1929. La photo a été prise de la rive opposée.

Celle du centre montre le rocher dont le profil rappelle celui d'une grand-mère et qui a donné son nom d'abord à la chute et plus tard à la ville. Pour les voyageurs qui remontaient le Saint-Maurice, c'était le portage de La Grand-Mère. Le rocher se trouvait au milieu des chutes. Il a été déplacé en 1912 dans un parc municipal pour faire place à la centrale hydroélectrique. Les morceaux de roche n'ont pas été remis dans le même ordre de sorte que la physionomie de la grand-mère a changé. Elle sourit maintenant.

On aperçoit sur l'image du bas de la première carte les bâtiments de l'usine Laurentide située à côté de la chute. Une pulperie et la première centrale hydro-électrique qui lui fournissait le courant ont été construites en 1890 par l'industriel John Foreman. Le village de La Grand-Mère, dont le territoire a été détaché de la paroisse de Sainte-Flore, s'est ensuite développé tout autour.

La deuxième carte montre l'hôtel Laurentide, une vue de la ville et la gare de chemin de fer.


mercredi 17 février 2010

Trinidad à Cuba

La ville de Trinidad à Cuba est située dans la province de Sancti Spiritus sur le bord de la mer des Caraïbes. On s'y rend par une route étroite et sinueuse qui serpente les collines. Les courbes sont dangereuses. C'est une région montagneuse, le massif de l'Escambray. Lors de la révolution cubaine, des opposants contre-révolutionnaires s'étaient réfugiés dans ces montagnes. Ils en ont été délogés par l'armée castriste quelques années plus tard. L'histoire officielle les appelle Les Bandits.

La ville et la vall
ée de Los Ingenios qui l'entoure ont été classées en 1988 au patrimoine mondial de l'UNESCO, comme la ville de Québec. La valeur patrimoniale de Trinidad repose sur l'architecture de ses bâtiments qui est typique de l'époque coloniale espagnole; on y distingue même une influence mauresque. Celle de la vallée à trait au paysage et à son importance historique dans le développement de l'industrie sucrière.

Trinidad a été fondée en 1514 par le conquistador espagnol Diego Velasquez qui était alors gouverneur de Cuba. C'est la troisième ville la plus ancienne de l'île. Ce fut pendant longtemps un repaire de pirates et de marchands d'esclaves. Mais il ne subsiste plus rien de cette époque. Les édifices anciens que l'on peut voir aujourd'hui datent plutôt des 18e et 19e siècles. Ils ont été construits pendant la période de prospérité de l'industrie de la canne à sucre sur laquelle reposait l'économie de la ville. Cette culture est aujourd'hui disparue de la vallée de Los Ingenios. On peut en admirer les paysages à partir d'un belvédère "Le Mirador" qui a été aménagé à quelques kilomètres de la ville (photo ci-contre).

C'est l'absence de développement économique dans cette partie de l'île qui a permis la conservation du vieux Trinidad. Il n'y avait pas de route carrossable pour s'y rendre avant la révolution. Il reste encore beaucoup à faire pour aménager la vieille ville. Plusieurs édifices anciens n'ont pas encore été restaurés. L'UNESCO a ouvert une école à Trinidad pour apprendre aux jeunes Cubains les connaissances techniques requises pour l'entretien des bâtiments. Elle finance aussi une partie des coûts de la restauration.

Le secteur le mieux restauré est celui de l'église paroissiale Mayor Santisima Trinidad (Sainte-Trinité) devant laquelle on a aménagé une belle place publique. On trouve dans cette église, qui n'est pas très ancienne (1892), plusieurs belles pièces d'ébénisterie : des autels, un jubé, un confessionnal, un christ gisant derrière une vitrine. Autour de l'église, on aperçoit les principaux bâtiments anciens qui ont retrouvé leur état originel.

Curieusement, les rues de la vieille ville ont été pavées avec des pierres des champs rondes et de taille variable, ce qui rend la surface inégale et la marche un peu difficile. Il faut regarder où l'on met les pieds.

On trouve près de l'église une magnifique résidence, le Palacio Brunet, qui a été construite en 1812 dans un style rococo. Elle abrite le musée du Romantisme qui présente du mobilier et des objets ayant appartenu à la bourgeoisie locale au temps des plantations. Plusieurs familles françaises riches, dont les Brunet, se sont installées à Trinidad après avoir été chassées d'Haïti lors de la guerre d'indépendance (1791-1803). Elles ont participé au développement de l'industrie sucrière. La cour intérieure du Palacio Brunet est très représentative du style colonial espagnol. Elle donne accès à une tour de guet dans laquelle on peut monter pour voir un panorama de la ville et des environs avec en arrière-plan les montagnes du massif de l'Escambray.

Il y a d'autres musées que je n'ai pas visités : le Musée municipal, le Musée national de la lutte contre Les Bandits (sic), un musée d'archéologie et un musée d'architecture. Ils sont situés tout autour de l'église paroissiale.

Un peu plus loin, un temple consacré au vaudou cubain, le Santeria, où des descendants d'esclaves africains pratiquent leur culte. C'est très rudimentaire comme temple : une poupée en plastique représentant une Vierge noire devant un petite table en bois couverte d'une nappe qui tient lieu d'autel, des récipients en verre et un crucifix. Le tout pouvait être déménagé en quelques minutes, ce qui était bien pratique quand la religion était réprimée. J'ai été surpris d'apprendre que plusieurs centaines de milliers de fidèles cubains suivent des rites d'inspiration africaine. Il y aurait d'ailleurs un accroissement de la pratique religieuse dans l'île depuis l'effondrement de l'économie cubaine qui a été provoqué par la disparition de l'Union Soviétique.

En dehors du vieux quartier, Trinidad ressemble aux autres villes cubaines. La population ne prête guère attention aux touristes, sauf une dizaine de mendiants qui sont assez collants : une jeune fille d'une dizaine d'années qui se gonfle le ventre pour faire croire qu'elle est enceinte, une autre qui réclame à grands cris des caramels, une vieille vraiment tache qui répète sans cesse le mot peso. Les Cubains, qui sont des gens fiers, méprisent leurs compatriotes qui mendient. Les touristes qui courent après les enfants pour leur donner des cadeaux ne se rendent pas compte du tort qu'ils leur font.

Avant d'entrer dans le vieux quartier, on peut voir un magasin d'État où les habitants se procurent, une fois par mois sur présentation d'un carnet de rationnement, quelques aliments de base comme le riz, le sucre et les oeufs. Il n'y a pas grand chose. Les Cubains complètent leur alimentation en cultivant un potager et en faisant du troc.


Depuis quelques années, le gouvernement cubain permet, sous certaines conditions, le travail indépendant, ce qui améliore un peu le niveau de vie. On peut visiter à Trinidad un atelier de potier qui est exploité par des artisans de la ville. On trouve aussi des petits commerces indépendants : des restaurants où l'on sert de la langouste, des chambres à louer dans les maisons de la ville, un marché extérieur où l'on vend des souvenirs aux touristes. Mais la libéralisation de l'économie est encore embryonnaire. Cuba demeure un état communiste.

mardi 16 février 2010

De l'eau courante

Vers 1884, Azéline Rondeau, qui revenait du Connecticutt, racontait à sa belle-mère Robitaille qu'il y avait dans certains logements à Lowell une salle de bain avec de l'eau courante, un confort alors inconnu à Saint-Alexis-des-Monts.

La belle-mère, pas du tout impressionnée, lui a répondu : «Ma pauvre petite fille, on a un ruisseau qui coule juste en arrière de la maison. Qu'est-ce qu'il te faut de plus ? »

Source : Une histoire racontée par ma grand-mère Blanche Lavergne qui était la brue d'Azéline Rondeau. J'ai ajouté l'année et le lieu.

Claudia Boucher

Je reproduis ci-après l'avis de décès de Madame Claudia Boucher paru sur Cyberpresse le 8 octobre 2009. Je crois qu'au moment de son décès, à 107 ans et 6 mois, elle était la deuxième personne la plus âgée qui soit née en Mauricie.

"Marie-Clodina" Boucher est née le 8 mars 1902 à Saint-Élie-de-Caxton. Elle était la fille d'Adélard Boucher et de Joséphine Gélinas. Elle a épousé Armand Côté, fils d'Alfred Côté et de Marie-Louise Rabouin, le 3 mars 1924 dans la paroisse Saint-Marc de Shawinigan.

L'avis de décès
À la Résidence Saint-Georges de Grand-Mère, le 29 septembre 2009, est décédée à l'âge de 107 ans et 6 mois, Mme Claudia Boucher, épouse de feu Armand Côté, demeurant à Saint-Georges de Grand-Mère, autrefois de la paroisse Saint-Marc de Shawinigan. Les funérailles auront lieu le samedi 10 octobre 2009 à 11 h en l'église Saint-Marc de la paroisse Sainte-Marguerite-d'Youville de Shawinigan. L'inhumation des cendres aura lieu au cimetière Saint-Michel de Shawinigan-Sud. La défunte laisse dans le deuil ses enfants : Jacques (Jeannine Casabon), Mariette (Maurice Héneault), Jacqueline (feu Jacques Vincent), Françoise (feu Léo Sanscartier), Fernand (Marie Jacques), Marcel (Georgette Champagne), Laurence (Armand Désaulniers), Louiselle (feu Guy Berthiaume); 15 petits-enfants : Claire et Céline Côté, feu Roger Héneault, Hélène, René et Denis Vincent, Alain Sanscartier, Diane Côté et feu Claude Côté, Francine et Mario Côté, René Tessier, Sylvie, Guylaine et Guy Jr Berthiaume ainsi que leur conjoint(e); 18 arrière-petits-enfants et 6 arrière-arrière-petits-enfants; ses belles-soeurs : Simone Auger (feu Arthur boucher) et Jeanne Côté (feu Victor Juneau); ainsi que plusieurs neveux, nièces, cousins, cousines et ami(e)s de la famille. La famille désire témoigner sa reconnaissance aux propriétaires de la Résidence Saint-Georges et son personnel, pour les bons soins, ainsi qu'à l'Abbé Pichette et à Soeur Brigitte Aubin, pour tout le réconfort et l'assistance spirituelle apportés.

Ajout : La Mauricienne qui a vécu le plus longtemps était Julia Houde native de Saint-Prosper dans le comté de Champlain qui est décédée à l'âge de 112 ans le 18 novembre 2006 à Montréal (voir Les doyennes de la Mauricie).

samedi 13 février 2010

La Chandeleur

J'ai toujours aimé les traditions qui marquent les saisons. Mais la Chandeleur, le 2 février, était pour moi une fête oubliée, un peu mystérieuse. On m'a déjà dit que c'était autrefois, à Saint-Étienne-des-Grès en Mauricie, la fin officielle de la période de réjouissances du temps des Fêtes qui commençait le 24 décembre; ça faisait quand même 40 jours de fêtes!

J'ai découvert sur un site belge La serre outil que c'est, en Europe, une journée où l'on mange des crêpes. On trouve d'ailleurs sur ce site une recette très appétissante de crêpes Suzette. Selon Jean Provencher (Les quatre saisons dans la Vallée du Saint-Laurent) on mangeait aussi des crêpes au Canada-français le jour de la Chandeleur, une vieille tradition venue de France. Il semble bien que cette tradition se soit perdue au Québec.

On connaît le proverbe québécois : à la Chandeleur la neige est à sa hauteur. Cette journée a inspiré plusieurs autres proverbes qui riment avec Chandeleur :

* À la Chandeleur, l'hiver se meurt ou prend vigueur.
* À la Chandeleur, le jour croît de deux heures.
* À la Chandeleur, grande neige et froideur.
* À la Chandeleur, le froid fait douleur.
* À la Chandeleur, au grand jour, les grandes douleurs.
* À la Chandeleur, Quéré fait des crêpes jusqu'à pas d'heure.
* Rosée à la Chandeleur, l'hiver a sa dernière heure.

C'était dans l'Antiquité la fête de la fertilité au sortir de l'hiver. La coutume ancienne était d'allumer des flambeaux ou des cierges à minuit en signe de purification : la festum candelarum, d'où le nom de chandeleur. L'Église catholique a récupérée cette fête païenne en l'associant d'abord à la présentation de Jésus au temple et plus tard à la purification de la Vierge. Ce jour-là, les chrétiens rapportaient chez eux des chandelles bénites pour protéger leur foyer.

Selon Provencher, la cérémonie se déroulait comme suit :
«Les cierges bénis puis allumés, on défile dans l'église de chaque côté de la nef au chant de l'antienne Lumen ad revelationem gentium (écouter). Le curé, flanqué des enfants de choeur ouvre la marche. Suivent les hommes et les femmes. Et, après la procession, la messe. Les cierges de la Chandeleur sont apportés à la maison et gardés précieusement. Ils fournissent protection comme les rameaux, l'eau bénite et le crucifix. Quelqu'un tombe-t-il malade, faut-il veiller un mort, qu'on allume un cierge de la Chandeleur. Quand survient l'orage, que le tonnerre gronde, on fait de même. Le cierge de la Chandeleur préserve du malheur.»
Aux États-Unis, la fête de la Chandeleur a été remplacée, le 2 février, par le jour de la marmotte.

vendredi 12 février 2010

L'hymne au vent du nord

Le poète québécois Alfred Desrochers (1901-1978) était le père de la comédienne et chanteuse Clémence Desrochers. Je ne le connaissais que de nom. J'ai découvert ce poème sur le blog "Les îles de la nuit" de Stéphane Labbe qui est professeur de littérature à Lanion en Bretagne. L'hymne au vent du nord a été publié en 1930 dans le recueil "À l'ombre de l'Orfod". Desrochers y chante avec nostalgie l'appel des grands espaces, la force et le courage des bûcherons, des draveurs et des coureurs des bois.

J'aime beaucoup les deux premiers vers : «Je suis un fils déchu de race surhumaine, race de violents, de forts, de hasardeux». Remarquez aussi l'avant-dernier quatrain où le poète se compare au hêtre qui conserve, grâce à son feuillage desséché, une apparence de vie durant l'hiver : «Par nos ans sans vigueur, je suis comme le hêtre dont la sève a tari sans qu'il soit dépouillé et c'est de désirs morts que je suis enfeuillé quand je rêve d'aller comme allait mon ancêtre


L'hymne au vent du nord

Je suis un fils déchu de race surhumaine,
Race de violents, de forts, de hasardeux,
Et j'ai le mal du pays neuf, que je tiens d'eux,
Quand viennent les jours gris que septembre ramène.

Tout le passé brutal de ces coureurs des bois :
Chasseurs, trappeurs, scieurs de long, flotteurs de cage,
Marchands aventuriers ou travailleurs à gages,
M'ordonne d'émigrer par en haut pour cinq mois.

Et je rêve d'aller comme allaient les ancêtres;
J'entends pleurer en moi les grands espaces blancs,
Qu'ils parcouraient, nimbés de souffles d'ouragans,
Et j'abhorre comme eux la contrainte des maîtres.

Quand s'abattait sur eux l'orage des fléaux,
Ils maudissaient le val; ils maudissaient la plaine,
Ils maudissaient les loups qui les privaient de laine :
Leurs malédictions engourdissaient leurs maux.

Mais quand le souvenir de l'épouse lointaine
Secouait brusquement les sites devant eux,
Du revers de leur manche, ils s'essuyaient les yeux
Et leur bouche entonnait : «À la claire fontaine»...

Ils l'ont si bien redite aux échos des forêts,
Cette chanson naïve où le rossignol chante,
Sur la plus haute branche, une chanson touchante,
Qu'elle se mêle à mes pensers les plus secrets :

Si je courbe le dos sous d'invisibles charges,
Dans l'âcre brouhaha de départs oppressants,
Et si, devant l'obstacle ou le lien, je sens
Le frisson batailleur qui crispait leurs poings larges;

Si d'eux, qui n'ont jamais connu le désespoir,
Qui sont morts en rêvant d'asservir la nature,
Je tiens ce maladif instinct de l'aventure,
Dont je suis quelquefois tout envoûté, le soir;

Par nos ans sans vigueur, je suis comme le hêtre
dont la sève a tari sans qu'il soit dépouillé,
Et c'est de désirs morts que je suis enfeuillé,
Quand je rêve d'aller comme allait mon ancêtre;

Mais les mots indistincts que profère ma voix
Sont encore : un rosier, une source, un branchage,
Un chêne, un rossignol parmi le clair feuillage,
Et comme au temps de mon aïeul, coureur des bois,

Ma joie ou ma douleur chante le paysage.


Voir aussi sur ce blog Un inédit d'Alfred Desrochers.

Les Chinois des États de l’Est

Sur le site internet L’Acadie Toujours!, William J. Cork présente le rapport Wright qui avait soulevé un tollé parmi les Franco-américains en 1881. Yves Roby a aussi consacré quelques pages à cette affaire dans son étude «Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre».

Voici le contexte : en 1880, les ouvriers de l’État du Massachusets ont demandé une réduction de leur semaine de travail qui est alors de 60 heures. Les employeurs s’y opposaient en alléguant que la durée du travail dans les États voisins était de 66 heures. Le gouvernement du Massachusets a chargé son Bureau des statistiques du travail, que dirigeait Carroll D. Wright, d’étudier cette question. Le rapport Wright a été remis en janvier 1881. Il contient quelques passages très critiques sur le comportement des Canadiens-français qui travaillaient comme ouvriers dans les usines de la Nouvelle-Angleterre. Les élites franco-américaines, l’avocat Hugo Adélard Dubuque de Fall River en tête (photo ci-contre), ont fait parvenir des protestations au gouvernement de l’État qui a fait part de leurs réactions dans le rapport du Bureau des statistiques du travail de l’année suivante.

Avec le recul, on réalise que les critiques formulées dans le rapport Wright sont celles que l’on entend souvent quand il est question des immigrants de fraîche date : ne pas vouloir s’intégrer, ne pas respecter les règles et les valeurs de la société d’accueil, etc. Il était cependant choquant pour les Franco-Américains de les lire dans un rapport officiel du gouvernement. Finalement, l’histoire a donné tort à Wright : on estime aujourd’hui la descendance des Franco-américains aux États-Unis à environ 4 millions de personnes dont la grande majorité ne parlent que l’anglais. Il y a donc eu une intégration massive à la société américaine. C’était juste une question de temps.

Je présente ci-après une traduction des passages controversés du rapport Wright. Ils donnent un aperçu du comportement des premiers migrants canadiens-français en Nouvelle-Angleterre et de l’hostilité qu'ils suscitaient dans la société américaine.

Les passages controversés du rapport Wright
À quelques exceptions, les Canadiens-français sont les Chinois des États de l’Est. Ils ne portent aucun intérêt à nos institutions civiles et politiques ou à notre système d’éducation. Ils ne viennent pas ici pour s’établir parmi nous, ou pour acquérir le statut de citoyen et donc pour s’intégrer à nous, mais plutôt pour séjourner ici quelques années comme des étrangers. Ils ne nous atteignent que par leur travail et quand ils ont obtenu ce qu’ils désirent, ils l’emportent avec eux dans leur patrie pour le faire fructifier là. Ils représentent une horde prête à envahir nos industries et non pas un courant d’émigration permanente. Le droit de vote et tout ce qu’il implique les laisse indifférents : rarement s’en trouve-t-il un qui souhaite se faire naturaliser. Si possible ils n’envoient pas leurs enfants à l’école mais tentent plutôt de les placer dans une manufacture dès leur plus jeune âge. Dans ce but, ils mentent à propos de l’âge de leurs enfants avec la plus grande audace. Ils mentent aussi quant à leur degré d’instruction, déclarant qu’ils ont été à l’école selon la limite de temps prescrite par la loi, alors que cela est faux et qu’ils n’ont aucune intention de les y envoyer. Si par hasard ils sont finalement coincés par des inspecteurs, sans possibilité de réplique, ils préfèrent alors souvent ramasser le peu de biens qu’ils ont et déménager dans une autre localité où ils ne sont pas connus, afin de pouvoir, par les mêmes supercheries, échapper au contrôle des écoles et garder leurs enfants au travail dans les manufactures. (…)
Ces gens ont toutefois un bon trait de caractère : ils sont des ouvriers infatigables et dociles. Ils n’exigent rien d’autres que d’être en mesure de travailler et se moquent bien de qui les dirige et comment. Gagner autant que possible indifféremment du nombre d’heures de travail, vivre dans le plus grand dénuement afin d’éviter le plus possible la dépense et afin de grossir leurs économies et de les sortir du pays une fois accumulées ; voilà en somme le but des Canadiens-français qui habitent nos régions industrielles. S’ils doivent enfin se procurer une détente quelconque, en ce qui concerne les hommes, elle se limitera à boire, fumer et flâner.
(…) La société mériterait d’être organisée selon le comportement de ses meilleurs éléments ; et, où cela apparaît nécessaire, la loi devrait être modifiée et appliquée afin d’exiger de ces gens qu’ils se plient à nos valeurs primordiales ou qu’ils aillent dans les pays où les habitudes de vie leur conviennent déjà.
Source : La traduction de ces extraits du rapport Wright est de Pierre Anctil dans «Chineese of the Eastern States , 1881», recherches sociographiques, janvier-avril 1981.

Voir aussi sur ce blog :

jeudi 11 février 2010

Le docteur Réal St-Onge

J'ai trouvé dans mes papiers un article de journal qui rend hommage au docteur Réal St-Onge de Saint-Étienne-des-Grès qui était mon parrain (on peut lire cet hommage en cliquant sur l'image ci-contre).

Réal St-Onge était le deuxième enfant de Félix St-Onge et d'Alma Picard ; une fille, Berthe, qui vit encore à Saint-Étienne-des-Grès, l'avait précédé. Il est décédé le 21 septembre 1990, quelques jours avant son 73e anniversaire de naissance. L'article de journal n'est pas daté mais je crois qu'il a pu être publié dans le courrier des lecteurs du Nouvelliste de Trois-Rivières à la fin du mois de septembre 1991, pour souligner le premier anniversaire du décès. C'est signé Edmond Blais de Saint-Boniface.

Réal St-Onge était un médecin de campagne à l'ancienne qui visitait ses patients à domicile, non seulement à Saint-Étienne-des-Grès mais aussi à Saint-Boniface de Shawinigan et dans les environs. Il était très connu et apprécié dans la région. Il a été un des fondateurs de la ligue de baseball rurale Albert-Gaucher. Un parc porte son nom à Saint-Étienne-des-Grès.

L'histoire du Canada en 1916

J'ai en main un exemplaire de l'édition 1916 de l'Histoire du Canada, cours élémentaire qui était publié par les Frères des Écoles Chrétiennes. Ce livre , qui coûtait 22 cents, a appartenu, en 1921, à Louis-Georges Vincent qui avait 15 ans à l'époque. Il était le fils de Théodore Vincent et de Sévérina Lamy de Sainte-Flore dans le comté de Champlain. Une personne pieuse, peut-être Résina Vincent qui était la soeur de Louis-Georges, a inséré un marque-page dans ce livre, une prière pour le succès du Congrès Eucharistique de Québec en 1938.

À l'époque, le clergé enseignait des dogmes, des certitudes. Les Frères des Écoles Chrétiennes qui écrivaient les manuels scolaires cherchaient davantage à édifier qu'à instruire. L'introduction du manuel de 1916 illustre parfaitement cette ancienne mentalité :
"Notre patrie jouit des bienfaits d'une civilisation avancée. Près de nous, nous voyons des maisons élégantes, des champs cultivés ; plus loin de grandes villes reliées par des chemins de fer ; partout un peuple intelligent qui forme une société de plusieurs millions d'individus. Ce peuple, régi par des lois sages, professe la religion chrétienne et cultive avec succès les arts et les sciences.

Le Canada, ainsi que l'Amérique dont il fait partie, n'a pas toujours possédé ces précieux avantages. Il y a trois siècles, notre territoire n'était qu'une immense solitude, habitée çà et là par une race d'hommes demi-nus, vivant à l'état sauvage.

L'histoire du Canada va nous faire assister à cette transformation graduelle qu'a subie notre pays. Nous y verrons : les chefs civils, qui ont découvert le pays, fondé les villes, colonisé les campagnes et administré les nouvelles sociétés ; les hommes d'église, notamment les missionnaires qui ont évangélisé les nations indigènes et entretenu, dans les colonies naissantes, le flambeau de la foi et de la morale chrétiennes ; les hommes de guerre qui, au prix de longs et héroïques sacrifices, ont défendu notre patrie contre la férocité ou la cupidité d'injustes agresseurs."

La Vierge est en prison à Boston

Dans ses mémoires publiées en 1988, l'ancien ministre progressiste-conservateur et député de Trois-Rivières Léon Balcer raconte une anecdote savoureuse au sujet du sanctuaire de Notre-dame du cap situé au Cap-de-la-Madeleine. Son récit, que je retranscris fidèlement, montre bien le caractère commercial qui s'était développé autour du sanctuaire. Il montre aussi la paranoïa dont pouvait faire preuve certains membres du clergé de l'époque face aux étrangers, aux non-catholiques. Voici l'extrait qui commence à la page 63 du livre de Balcer.

Le récit de Balcer

Depuis que le monde est monde, les sanctuaires religieux ont eu à faire face à un problème auquel les responsables ont bien des difficultés à trouver une solution.

Autour de chaque sanctuaire, une armée de commerçants installent des comptoirs ou ils vendent aux pèlerins des tonnes de souvenirs à l'effigie du saint patron des lieux. Au début, il s'agit d'articles religieux : chapelets, missels, images saintes, statues, mais, avec le temps, à ces articles viennent s'ajouter plumes, canifs, assiettes, fanions, lampes, chapeaux, T-shirts, et Dieu sait quoi! rappelant le patron vénéré. Peu à peu, les commerçants laïques sont remplacés par des religieux responsables du sanctuaire. Avec pour résultat que, trop souvent, les pélerins ont la nette impression que leur foi et leur mysticisme sont exploités soi-disant pour «remercier Dieu des bienfaits qu'il déverse sur leurs âmes pieuses».

Cette pratique constitue un danger constant de tomber dans l'exagération et de commettre des erreurs impardonnables, tel que l'illustre le récit qui va suivre.

Au début des années soixante, alors que j'étais membre du cabinet fédéral, je reçois la visite, à mon bureau de Trois-Rivières, d'un oblat du sanctuaire de Notre-Dame du Cap-de-la-Madeleine. Ce religieux m'avait prévenu au téléphone qu'il s'agissait d'un problème urgent d'une extrême gravité. En entrant dans mon bureau, il m'annonce sans perdre une minute que Notre-Dame du Cap était victime d'un épouvantable complot dont l'âme dirigeante était nul autre que le gouvernement «anti-catholique» des États-Unis. Le lecteur admettra que l'accusation était de taille.

Comme je commençais à lui faire part de mon incrédulité, il m'apprend que la statue miraculeuse de la Vierge est en prison à Boston. J'essayai de m'imaginer quel crime notre pauvre madone avait pu commettre pour mériter un tel sort!

Il me dit laconiquement : «Je ne peux vous en dire plus.» Je lui expliquai qu'il ne s'agissait pas d'une simple affaire de tous les jours et que, s'il voulait que je l'aide, j'étais en droit d'obtenir certaines précisions. Après une longue réflexion, il consentit à me raconter le drame à partir du commencement.

Depuis plusieurs années déjà, une statue de la Vierge, montée sur un chariot en forme de pont de chapelets parcourait les villes et les villages de la province de Québec afin d'attirer les pèlerins au sanctuaire de Notre-Dame du Cap. Ces tournées à travers le Québec avaient connu un tel succès qu'on décida de promener la statue dans les villes et les villages à prédominance catholique du Nord-Ontario et du Nouveau-Brunswick. Ces tournées devinrent à tel point populaires qu'on organisa de semblables visites outre-frontière en Nouvelle-Angleterre où règnait déjà une grande dévotion à Notre-Dame du Cap, parmi les populations franco-américaines catholiques.

Le chariot était donc parti vers la frontière américaine, accompagné d'un camion rempli de souvenirs à l'effigie de la Madone. Comme je l'ai expliqué plus haut, il ne s'agissait pas seulement d'articles religieux, mais tout autant de bibelots de caractère utilitaire : porte-clefs, canifs et autres breloques.

La caravane arriva donc à la frontière où les douaniers américains, après une inspection attentive des deux véhicules, annonçèrent aux chauffeurs que, s'il n'y avait aucune restriction à ce que le chariot contenant la statue et le pont de chapelets entre sans frais de douane, il n'en était pas de même pour le camion et toute sa marchandise. Celle-ci était frappée de frais de douane s'élevant à la somme de 9 000 $.

Il s'ensuivit une très longue discussion, mais les douaniers ne voulurent rien entendre. Le responsable de la caravane refusa de payer le dit montant, décida de faire demi-tour et mis le cap sur Sherbrooke. Rendu en cette ville, il rencontra un ancien policier qui lui offrit de lui faire passer la frontière par un petit chemin de campagne mal surveillé par les garde-frontières américains.

Le lendemain matin, il tentèrent leur chance. Mal leur en prit car, aussitôt rendu sur le sol américain, il furent repérés. Le chariot, le camion et les bibelots furent saisis sur-le-champ et transportés à Boston pour y être remisés sous scellés dans un entrepôt des douanes américaines. Cette fois, il ne s'agissait plus de simples droits de douane de 9 000 $ : on y ajoutait une amende d'un autre 9 000 $.

Le pauvre religieux ajoute : «C'est de la persécution, c'est un complot contre notre religion.»

Je lui réponds : «Mais vous n'avez pas le choix. Vous avez enfreint la loi. Il faut payer. Je ne crois pas que vous puissiez vous en tirer autrement.»

- «C'est précisément pourquoi je suis venu vous voir, il faut que le gouvernement intervienne.»
Sur ce, il me demande de lire un document. Il s'agit de la copie d'une lettre qu'il avait fait parvenir à Foster Dulles, alors secrétaire d'État des États-Unis. Dans sa missive, il mettait ce dernier au courant de cet ignoble complot contre la religion catholique et l'implorait de se servir de toute son influence au sein du gouvernement américain pour que la Vierge retrouve au plus tôt sa liberté. Il prenait soin de rappeler à Monsieur Dulles qu'en tant que père d'un jésuite, il ne pouvait fermer les yeux devant un tel sacrilège.

Je n'en croyais pas mes yeux. Je lui demande si réellement il a envoyé cette lettre. Il me répond dans l'affirmative, ajoutant qu'il n'avait même pas eu un accusé de réception! et il enchaîne en me demandant de faire intervenir le premier ministre Diefenbaker ou le secrétaire d'État aux Affaires extérieures.
J'imaginai la tête de Diefenbaker m'écoutant au cabinet lui raconter cette histoire abracadabrante. Quel pique-nique nous aurions déclenché! (...)
Voir aussi : Duplessis admirait-il Hitler?