vendredi 12 février 2010

Les Chinois des États de l’Est

Sur le site internet L’Acadie Toujours!, William J. Cork présente le rapport Wright qui avait soulevé un tollé parmi les Franco-américains en 1881. Yves Roby a aussi consacré quelques pages à cette affaire dans son étude «Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre».

Voici le contexte : en 1880, les ouvriers de l’État du Massachusets ont demandé une réduction de leur semaine de travail qui est alors de 60 heures. Les employeurs s’y opposaient en alléguant que la durée du travail dans les États voisins était de 66 heures. Le gouvernement du Massachusets a chargé son Bureau des statistiques du travail, que dirigeait Carroll D. Wright, d’étudier cette question. Le rapport Wright a été remis en janvier 1881. Il contient quelques passages très critiques sur le comportement des Canadiens-français qui travaillaient comme ouvriers dans les usines de la Nouvelle-Angleterre. Les élites franco-américaines, l’avocat Hugo Adélard Dubuque de Fall River en tête (photo ci-contre), ont fait parvenir des protestations au gouvernement de l’État qui a fait part de leurs réactions dans le rapport du Bureau des statistiques du travail de l’année suivante.

Avec le recul, on réalise que les critiques formulées dans le rapport Wright sont celles que l’on entend souvent quand il est question des immigrants de fraîche date : ne pas vouloir s’intégrer, ne pas respecter les règles et les valeurs de la société d’accueil, etc. Il était cependant choquant pour les Franco-Américains de les lire dans un rapport officiel du gouvernement. Finalement, l’histoire a donné tort à Wright : on estime aujourd’hui la descendance des Franco-américains aux États-Unis à environ 4 millions de personnes dont la grande majorité ne parlent que l’anglais. Il y a donc eu une intégration massive à la société américaine. C’était juste une question de temps.

Je présente ci-après une traduction des passages controversés du rapport Wright. Ils donnent un aperçu du comportement des premiers migrants canadiens-français en Nouvelle-Angleterre et de l’hostilité qu'ils suscitaient dans la société américaine.

Les passages controversés du rapport Wright
À quelques exceptions, les Canadiens-français sont les Chinois des États de l’Est. Ils ne portent aucun intérêt à nos institutions civiles et politiques ou à notre système d’éducation. Ils ne viennent pas ici pour s’établir parmi nous, ou pour acquérir le statut de citoyen et donc pour s’intégrer à nous, mais plutôt pour séjourner ici quelques années comme des étrangers. Ils ne nous atteignent que par leur travail et quand ils ont obtenu ce qu’ils désirent, ils l’emportent avec eux dans leur patrie pour le faire fructifier là. Ils représentent une horde prête à envahir nos industries et non pas un courant d’émigration permanente. Le droit de vote et tout ce qu’il implique les laisse indifférents : rarement s’en trouve-t-il un qui souhaite se faire naturaliser. Si possible ils n’envoient pas leurs enfants à l’école mais tentent plutôt de les placer dans une manufacture dès leur plus jeune âge. Dans ce but, ils mentent à propos de l’âge de leurs enfants avec la plus grande audace. Ils mentent aussi quant à leur degré d’instruction, déclarant qu’ils ont été à l’école selon la limite de temps prescrite par la loi, alors que cela est faux et qu’ils n’ont aucune intention de les y envoyer. Si par hasard ils sont finalement coincés par des inspecteurs, sans possibilité de réplique, ils préfèrent alors souvent ramasser le peu de biens qu’ils ont et déménager dans une autre localité où ils ne sont pas connus, afin de pouvoir, par les mêmes supercheries, échapper au contrôle des écoles et garder leurs enfants au travail dans les manufactures. (…)
Ces gens ont toutefois un bon trait de caractère : ils sont des ouvriers infatigables et dociles. Ils n’exigent rien d’autres que d’être en mesure de travailler et se moquent bien de qui les dirige et comment. Gagner autant que possible indifféremment du nombre d’heures de travail, vivre dans le plus grand dénuement afin d’éviter le plus possible la dépense et afin de grossir leurs économies et de les sortir du pays une fois accumulées ; voilà en somme le but des Canadiens-français qui habitent nos régions industrielles. S’ils doivent enfin se procurer une détente quelconque, en ce qui concerne les hommes, elle se limitera à boire, fumer et flâner.
(…) La société mériterait d’être organisée selon le comportement de ses meilleurs éléments ; et, où cela apparaît nécessaire, la loi devrait être modifiée et appliquée afin d’exiger de ces gens qu’ils se plient à nos valeurs primordiales ou qu’ils aillent dans les pays où les habitudes de vie leur conviennent déjà.
Source : La traduction de ces extraits du rapport Wright est de Pierre Anctil dans «Chineese of the Eastern States , 1881», recherches sociographiques, janvier-avril 1981.

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