Dans ses mémoires, Léon Balcer (1917-1991), qui fut député progressiste-conservateur de Trois-Rivières de 1949 à 1965 et ministre sous Diefenbaker, raconte un échange auquel il a assisté entre Maurice Duplessis alors premier ministre du Québec et le consul d'Allemagne nouvellement nommé.
Au début des années cinquante, jeune député fédéral, je me trouvais à Québec et j'en profitai pour aller saluer le premier ministre et régler quelques petits problèmes qui intéressaient nos électeurs de Trois-Rivières. Je téléphonai à Mademoiselle Cloutier pour prendre rendez-vous. Elle m'invita à me rendre au bureau du premier ministre vers 9h45 en me disant que même si ce dernier avait un agenda bien chargé il pourrait me voir juste avant le nouveau consul d'Allemagne qui avait rendez-vous à 10 heures.
Nous réglâmes rapidement nos petites affaires et, comme Mademoiselle Cloutier entrait pour annoncer le diplomate, j'étais déjà debout prêt à prendre congé. Monsieur Duplessis me dit : "Non, non va-t-en pas, ce n'est qu'une visite de courtoisie qu'il me fait. Il vient d'arriver au pays."
Je lui répond que je ne voulais pas déranger.
Il insiste : "Non, non c'est une bonne chose que tu le rencontres. Et puis, entre toi et moi, les diplomates européens ne m'impressionnent pas outre mesure. Je suis capable de leur parler."
Ça promettait!
Je vois entrer l'Allemand. Un visage raffiné, très grand, d'une maigreur frappante, résultat de plusieurs années passées dans les prisons hitlériennes. En somme, ce démocrate, ami d'Adenauer, avait dans son visage une expression de souffrance passée qui m'inspirait le plus grand respect.
Après lui avoir serré la main, le premier ministre lui dit : "Je vous présente le député fédéral de Trois-Rivières, c'est un boche comme vous!"
Sans doute aujourd'hui le mot boche ne s'emploie plus mais pour les gens de ma génération, et surtout pour ce consul, le mot avait un lourd sens péjoratif.
Je vis dans les yeux du diplomate qu'il se demandait s'il avait bien compris. C'est alors que monsieur Duplessis commence un long monologue où il donne son interprétation de l'histoire de l'Allemagne contemporaine. À un moment donné, il ajoute sur un ton catégorique : "Vous savez, Hitler, qu'on l'aime ou qu'on l'aime pas, était un des plus grands orateurs des temps modernes."
Je vois sur le visage du diplomate une expression d'incrédulité totale. Je suis convaincu qu'il ne pouvait comprendre que quelqu'un puisse lui dire une telle énormité.
Duplessis crut qu'il mettait en doute son affirmation et enchaîna : "Oui, oui, je sais ce dont je parle, parce que je l'ai entendu moi-même en plein milieu de l'Atlantique sur le Normandie. La radio nous transmettait un discours qu'il prononçait devant 50 000 personnes. C'était quelque chose à entendre! Extraordinaire!"
Après un moment de silence, le consul fit simplement remarquer qu'à l'endroit où il était incarcéré, il n'y avait pas de radio.
Duplessis ne fut pas plus ému et continua sur le même ton sa dissertation pour finalement terminer sur la thèse suivante : "Aujourd'hui tout le monde blâme Hitler de tous les péchés du monde, mais l'histoire devra admettre que c'est lui qui dans les années trente a sauvé l'Allemagne du communisme. Prenez-en ma parole!"
Son interlocuteur n'en revenait pas. Il était d'une pâleur extrême. Il se retira le plus tôt qu'il pu.
Monsieur Duplessis me dit alors en guise de conclusion : "Tu sais, ces Européens-là il faut leur parler. Il ne faut pas se gêner."
- Mais quand même est-ce que vous ne trouvez pas que vous avez été un peu raide au sujet d'Hitler. Cet Allemand, lui, a passé des années de sa vie en prison à cause d'Hitler.
- Il ne faut pas s'en faire. Il ne faut pas se laisser impressionner.
Pour ma part, je n'ai jamais eu aussi hâte de quitter un bureau de premier ministre.
Voir aussi : La Vierge est en prison à Boston
Nous réglâmes rapidement nos petites affaires et, comme Mademoiselle Cloutier entrait pour annoncer le diplomate, j'étais déjà debout prêt à prendre congé. Monsieur Duplessis me dit : "Non, non va-t-en pas, ce n'est qu'une visite de courtoisie qu'il me fait. Il vient d'arriver au pays."
Je lui répond que je ne voulais pas déranger.
Il insiste : "Non, non c'est une bonne chose que tu le rencontres. Et puis, entre toi et moi, les diplomates européens ne m'impressionnent pas outre mesure. Je suis capable de leur parler."
Ça promettait!
Je vois entrer l'Allemand. Un visage raffiné, très grand, d'une maigreur frappante, résultat de plusieurs années passées dans les prisons hitlériennes. En somme, ce démocrate, ami d'Adenauer, avait dans son visage une expression de souffrance passée qui m'inspirait le plus grand respect.
Après lui avoir serré la main, le premier ministre lui dit : "Je vous présente le député fédéral de Trois-Rivières, c'est un boche comme vous!"
Sans doute aujourd'hui le mot boche ne s'emploie plus mais pour les gens de ma génération, et surtout pour ce consul, le mot avait un lourd sens péjoratif.
Je vis dans les yeux du diplomate qu'il se demandait s'il avait bien compris. C'est alors que monsieur Duplessis commence un long monologue où il donne son interprétation de l'histoire de l'Allemagne contemporaine. À un moment donné, il ajoute sur un ton catégorique : "Vous savez, Hitler, qu'on l'aime ou qu'on l'aime pas, était un des plus grands orateurs des temps modernes."
Je vois sur le visage du diplomate une expression d'incrédulité totale. Je suis convaincu qu'il ne pouvait comprendre que quelqu'un puisse lui dire une telle énormité.
Duplessis crut qu'il mettait en doute son affirmation et enchaîna : "Oui, oui, je sais ce dont je parle, parce que je l'ai entendu moi-même en plein milieu de l'Atlantique sur le Normandie. La radio nous transmettait un discours qu'il prononçait devant 50 000 personnes. C'était quelque chose à entendre! Extraordinaire!"
Après un moment de silence, le consul fit simplement remarquer qu'à l'endroit où il était incarcéré, il n'y avait pas de radio.
Duplessis ne fut pas plus ému et continua sur le même ton sa dissertation pour finalement terminer sur la thèse suivante : "Aujourd'hui tout le monde blâme Hitler de tous les péchés du monde, mais l'histoire devra admettre que c'est lui qui dans les années trente a sauvé l'Allemagne du communisme. Prenez-en ma parole!"
Son interlocuteur n'en revenait pas. Il était d'une pâleur extrême. Il se retira le plus tôt qu'il pu.
Monsieur Duplessis me dit alors en guise de conclusion : "Tu sais, ces Européens-là il faut leur parler. Il ne faut pas se gêner."
- Mais quand même est-ce que vous ne trouvez pas que vous avez été un peu raide au sujet d'Hitler. Cet Allemand, lui, a passé des années de sa vie en prison à cause d'Hitler.
- Il ne faut pas s'en faire. Il ne faut pas se laisser impressionner.
Pour ma part, je n'ai jamais eu aussi hâte de quitter un bureau de premier ministre.
Voir aussi : La Vierge est en prison à Boston