Au Québec, la fin du dix-neuvième siècle correspond à l'âge d'or des sociétés de tempérance. Des centaines de milliers de catholiques avaient fait le voeu de ne pas boire d'alcool et de ne pas fréquenter d'établissements qui vendaient des boissons alcooliques. Le clergé devait alors donner l'exemple. Un curé qui aurait été surpris à prendre un verre aurait pu perdre sa place.
L'attitude envers l'alcool était complètement différente en Normandie où un curé pouvait ouvertement opérer son propre alambic ! Dans sa lettre du 8 octobre 1887, Vital Bellemare (photo ci-contre), curé de Chambray en Normandie, s'étonne que son correspondant canadien, le curé Charles Bellemare de Saint-Boniface en Mauricie, lui écrive ne pas boire d'alcool mais plutôt de l'eau fraîche et claire :
Ô misère ! Ô privation ! ils boivent de l'eau ! ! ! fraîche tant que vous voudrez, claire tant qu'il vous plaira mais ce composé d'hydrogène et d'oxygène est sans saveur pour les palais des Normands buveurs de bons cidres, de petit et de gros vin, et d'alcools falsifiés. Je ne m'explique pas que vous soyez réduits à un régime si calmant, pour des gens de pays froids, pour des fumeurs endurcis comme vous l'êtes ; mais la bière est donc bien chère ou bien difficile à fabriquer là-bas [...] Si je pouvais donc vous expédier quelque bonne pièce de ce cidre qu'en ce moment même mon père fabrique dans la cour du presbytère ? On va bientôt remplir les fûts vides ; la lie et déchet qui se trouve au fond, vous doutez-vous de ce que je vais en faire. Voici : il y a quelques années je me suis pourvu d'un alambic : nous montons le petit appareil dans le jardin, on chauffe, on dirige, et il nous vient cette bonne eau-de-vie de cidre appelée ici "calvados", pas falsifiée, celle-là ! Nous en avons déjà fabriqué des centaines de litres : mais hélas ! elle ne vieillit pas beaucoup. Tous les jours, au repas du midi, le café, à quatre que nous sommes sans compter quelques bouches gourmandes, qui viennent par-ci, par-là, nous aider, le litre d'eau-de-vie y passe chaque semaine [...] Il y a 2 ou 3 ans j'ai fabriqué ainsi, dans mes moments perdus, et papa aidant, toutes sortes de liqueurs que je serais aisé de vous faire goûter, mes chers amis : alcool de prunes, de prunelles sauvages, de mûres sauvages (baies de ronces), de merises, de poires, etc.
Source : La Normandie et le Québec vus du presbytère : correspondance inédite. Publications de l'Université de Rouen, 1987, page 56.
Voir aussi sur ce blog : La visite des chantiers ; La visite des chantiers (2) ; L'alcool à Yamachiche en 1851