Charles-Théodore Bellemare, issu d'une famille aisée de Yamachiche, a été curé de Shawenegan (Saint-Boniface) de 1875 à 1894. Il entretenait une correspondance suivie avec son homologue Vital Bellemare, prêtre desservant de la paroisse de Chambray en Normandie (voir
La Normandie et le Québec vus du presbytère).
Dans une lettre écrite en février 1888, le curé de Shawenegan décrivait de façon très négative la visite annuelle qu'il devait faire en hiver dans les chantiers (voir
La visite des chantiers). Peut-être intimidé par la rudesse des bûcherons et incapable d'établir la communication avec eux, ils les décrivaient alors comme la lie de la société et leur reprochait leur malpropreté.
|
Source de la photo : florelaurentienne.com |
Cinq ans plus tard, son opinion et son attitude envers les bûcherons ont complètement changé. De hautain qu'il était à son arrivée dans la paroisse, il est devenu plus familier et plus amical avec les fidèles. La visite des chantier est maintenant pour lui une fête et les bûcherons sont devenus de bons lurons qui font leur toilette avant l'arrivée du curé. Le 16 février 1893, il écrivait à son correspondant normand :
Il est bon de vous dire que nous avons, cet hiver, sur la paroisse deux établissements en pleine forêt pour la coupe du bois. Ce sont deux grandes maisons, basses, la couverture surbaissée, bâties en bois rond, calfeutrées avec de la mousse et des étoupes. L'intérieur est vaste, avec une table d'une quarantaine de pieds de longueur et une rangée de lits à deux étages. Une quarantaine d'hommes occupent chacun de ces chantiers. Un de mes paroissiens, M. Morel, en est le contre-maître et les travaillants sont, pour la plupart de Shawenegan et de Saint-Étienne, ce qui fait qu'en arrivant dans ces chantiers, nous arrivons en pays de connaissance, et nous sommes bien reçus. La journée choisie par le prêtre pour visiter le chantier est annoncée d'avance ; le travail cesse un peu plus tôt et quand nous arrivons, vers 6 heures et demie chaque homme a fait sa toilette et nous commençons de suite les amusements avec tous ces bons lurons. Des contes, des chansons, quelquefois des danses, du violon, nous aident à passer bien agréablement les quelques heures données par encouragement à ces hommes qui peinent toute la journée à travers les neiges et les froids. Ils sont pourtant contents de leur sort, ils sont robustes, nos jeunes Canadiens (ce sont, en partie des jeunes gens), et quand, au printemps vous les voyez revenir du chantier, ils se présentent à vous, gros, gras, le teint plein de feu. S'ils travaillent fort, ils sont en général bien nourris, bien traités. Le lard, le boeuf, les pois, les haricots, la farine de première qualité pour le pain et les pâtisseries sont fournis par le bourgeois et s'il veut avoir des hommes il faut que sa cuisine soit chargée.
... nous arrivons vers 6 heures et demie. Après les salutations d'usage, quelques mots d'entretien avec le bourgeois, M. Ritchie, présent ce soir-là, et avec le contremaître, nous entrons dans la chambre des hommes où les bons chanteurs nous régalent des meilleurs morceaux de leur répertoire. Après les chansons, j'avise un mien cousin qui , comme moi, s'appelle Charles Bellemare, de nous conter quelques contes. Vous dire l'aspect du chantier quand je leur annonçai que Charles allait nous conter un conte, c'est un peu difficile. Nos Canadiens aiment les contes et l'on écoute le contenu comme à l'église l'on écoute le prêcheur. La renommée de Charles est bien connue, aussi dès que je leur annonçai qu'il avait donné son consentement, chacun de quitter sa place et de venir entourer mon homme, les uns s'asseyant sur les tables, les autres par terre, tous se plaçant de manière à avoir le conteur en vue, et Charles de commencer, avec son grand sérieux et son air de brigand ; mais le sérieux ne dura pas longtemps : Charles est un farceur et le cours de ses histoires nous amena bien des incidents où le chantier n'était pas assez grand pour contenir les éclats de rire des auditeurs ...Je récitai le chapelet avec toutes ces bonnes gens, je fis la prière du soir et leur donnai en quelques mots les avis que me suggéraient leur état et les renseignements que j'avais reçus du contremaître et nous leur disons : au revoir mes bons amis ! À 10 heures et quart, nous étions de retour à la maison ; M. Milot passa avec nous l'avant-midi et tantôt il nous disait adieu pour s'en aller voir sa vieille mère.
Voir aussi :
La visite des chantiers et
L'alambic du curé Bellemare