mardi 21 septembre 2010

Clément Marchand et Alfred Desrochers

Bonenfant, Joseph, Une emprise réciproque : Clément Marchand - Alfred Desrochers (1931-1949), Voix et images, vol 16, no 1, 1990, p 53-63.

Joseph Bonenfant de l'Université de Sherbrooke présente dans cet article une analyse de la correspondance qu'ont entretenue sur deux décennies les poètes Clément Marchand (photo ci-contre), l'auteur des Soirs rouges, et Alfred Desrochers. En 1931, quand il écrit sa première lettre à Desrochers, Clément Marchand n'a que 18 ans. Il a déjà plusieurs milliers de vers à son actif mais n'a encore rien publié. Étudiant au Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières, il est un élève d'Albert Tessier qui l'encourage à écrire. C'est avec beaucoup de respect et d'admiration qu'il s'adresse à Desrochers, alors âgé de 30 ans, qui vient de publier ses recueils L'offrande aux vierges folles en 1929 et surtout À l'ombre de l'Orford en 1930.

Dans un texte écrit pour l'article de Bonenfant, Clément Marchand résumait ainsi sa correspondance avec Alfred Desrochers :
Si je ne me sentais pas humble devant l'oeuvre de Desrochers - comme en témoignent les soixante-huit lettres que je lui écrivis de 1931 à 1949 - je serais un monstre de naïveté et d'idiotie, combinées de stupide prétention. Mais, Dieu merci, la nature m'a imparti assez de sens commun pour reconnaître sa grandeur, son génie et ramper littérairement contre ses dons éminents en face de ses hymnes et de ses odes.

J'espère pouvoir rendre hommage à ce grand poète, figure de proue de la poésie française en Amérique. Ce que je tentais de lui dire dans mes lettres est qu'il était français par son métier mais américain d'accent, poète dionysien du Nouveau-Monde, même s'il développe des thèmes sortis de la mémoire atavique. Il était pour moi le visionnaire, le libertaire illuminé. Le souffle des espaces soulevait son chant lyrique.

Il est en effet, à mes yeux, avec Choquette, le dernier grand lyrique de la poésie française. Il daigna s'intéresser au poéterau que j'étais vers 1930 et lui accorder, en plus de son amitié qui ne se démentit jamais, une considération critique (plus généreuse que méritée) au cours d'une correspondance excessivement présente à tout ce qui touche la poésie.

On me dira peut-être que je m'emballe facilement sur cette époque et qu'on ne peut endosser mes jugements. J'en appelle à Olivar Asselin, à Claude-Henri Grignon, à Albert Pelletier, bons juges de la qualité littéraire, pour reconnaître en Desrochers le poète le plus inspiré qu'ai produit l'Amérique française. De Nelligan à Choquette, il faut passer par A.D. qui les sous-tend.

Je fais souvent des blagues idiotes quand je dis qu'un Desrochers à son meilleur fait mal paraître le père Hugo. Il arrive que le disciple dépasse le maître. Cela s'est produit pour l'auteur d'À l'ombre de l'Orford vis-à-vis certains des poètes les plus importants du XIXe et commencement du XXe siècle, quand il a conçu des pièces au lyrisme aussi puissant que celui de "Désespérance romantique" et de "Hymne au vent du Nord".

Cette correspondace m'a profondément marqué.

Leurs relations étaient parfois tendues. Desrochers qui était de la vieille école, n'aimait pas les poèmes en prose. Avant même d'avoir lu l'oeuvre de Marchand, il écrivait : "Le poème en prose m'a toujours semblé un genre bâtard. Avis!" De son côté, Marchand était déçu de la faible production littéraire de Desrochers à qui il reprochait sa paresse et son penchant pour la bouteille. Le 29 décembre 1937, il écrivait :

Je crois que tu bois trop, espèce de cochon. Si tu crèves avant d'avoir donné à ton pays les chefs-d'oeuvre qu'il est en droit d'attendre de ton magnifique talent, tu peux être sûr que je n'irai pas à tes funérailles. Mais pendant qu'on enterrera ta carcasse, je consacrerai un éreintement soigné à ton oeuvre. Ce sera ma façon de te manifester mon admiration déçue.