En 1964, François Schirm, surnommé le Général, dirigeait l'Armée révolutionnaire du Québec (ARQ), le bras armé du Front de libération du Québec (FLQ). En juillet, il a ouvert un camp d'entraînement du FLQ en forêt à Saint-Boniface-de-Shawinigan. Cet ancien militaire français, né en Hongrie, voulait développer la guérilla au Québec. Son armée comptait une douzaine de personnes.
Le camp du FLQ était situé dans une cabane sur le bord du Lac Martel, au bout du Quatrième rang de Saint-Boniface. C'est le genre de lac peu profond où les orignaux vont se baigner. Il est entouré de montagnes. À l'époque, c'était un endroit très isolé ; il fallait marcher une vingtaine de minutes en forêt pour s'y rendre et descendre une pente abrubte qui menait au lac. Vers 1975, on apercevait encore les ruines de la cabane, notamment des sommiers de lits en métal, sur un promontoire.
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Vue aérienne du Lac Martel |
Le 29 août 1964, cinq des membres du groupe ont pris part à un vol d'armes à l'armurerie de l'International Firearms Co de la rue Bleury à Montréal. L'opération a tourné au désastre. Des policiers qui patrouillaient le secteur les ont surpris pendant qu'ils chargeaient les armes dans un véhicule. Deux employés du magasin ont été tués au cours de la fusillade : le gérant Leslie D. MacWilliams et le commis Alfred Pinisch. Selon les témoignages, le gérant aurait été tué par un jeune homme armé d'une carabine M-1, tandis que le commis aurait été tué par un policier qui l'a pris pour un des voleurs. Le Général François Schirm, a été blessé d'une balle à une jambe.
Les cinq voleurs étaient François Schirm (32 ans), Gilles Brunet (28 ans), Cyriaque Delisle (26 ans), Marcel Tardif (22 ans) et Edmond Guénette (20 ans), tous de la région de Montréal. Les quatre premiers ont été arrêtés sur le champ, mais le jeune Guénette a réussi à s'enfuir. Une chasse à l'homme a été déclenchée par les différents corps de police pour le retrouver.
Sa cavale aura duré quelques jours seulement. Selon le Shawinigan Standard du 9 septembre 1964, Guénette et huit compagnons ont été arrêtés au Lac Martel par le détachement de Shawinigan de la Sûreté du Québec. Cette arrestation aurait eu lieu le mardi précédant la parution du journal, soit le premier septembre 1964. Une escouade formée de 15 agents de la Police de Montréal, de la Sûreté du Québec et de la Gendarmerie royale du Canada a ensuite effectué des perquisitions dans la région de Shawinigan.
Pourquoi se cachaient-ils à Saint-Boniface, à deux heures de route de Montréal où avaient lieu les attentats ? Il fallait bien connaître les lieux pour trouver la cachette du Lac Martel. Je suppose qu'un ou plusieurs des membres du groupe étaient du coin. À ma connaissance, les identités de ces huit personnes n'ont pas été mentionnées dans les journaux. Selon le Shawinigan Standard, certains d'entre eux avaient des cartes périmées du Rassemblement pour l'Indépendance Nationale (RIN).
Dans FLQ. Histoire d'un mouvement clandestin, publié en 1982, Louis Fournier nomme « six campeurs » qui ont été arrêtés au Lac Martel en même temps que Guénette, soit deux travailleurs, Jean-Guy Lefevre (25 ans) et Marc-André Parisé du Saguenay (20 ans), de même que quatre étudiants de Montréal : Claude Nadeau, Yvon Hussereau, Bernard Mataigne et Louis-Philippe Aubert. Certains d'entre eux étaient des récidivistes. Accusés de conspiration pour commettre un vol, les six ont été libérés, faute de preuve, en janvier 1965. Il semble bien que les deux autres personnes, qui, selon le Shawinigan Standard, ont été arrêtées avec Guénette, n'ont pas été traduite en justice.
Selon Fournier, l'emplacement du camp aurait été révélé par Marcel Tardif, un des quatre felquistes arrêtés à Montréal. De toute façon, ce n'était qu'une question de temps avant que la police ne trouve leur repère. La cachette était bonne, mais leur plan avait une faille majeure : il fallait se rendre au village ou à Shawinigan pour s'approvisionner. Les gens du coin, qui sont très curieux de nature, les voyaient circuler et les auraient tôt ou tard dénoncés à la police. On m'a d'ailleurs raconté que des felquistes faisaient du pouce pour se rendre en ville, un bon moyen de se faire remarquer.
François Schirm et Edmond Guénette ont été condamnés à mort pour les meurtres des deux employés. Leur peine a ensuite été commuée en prison à vie. Guénette a finalement été libéré en 1975 et Schirm, en 1978. La photo suivante montre un groupe de felquistes au pénitencier de Sainte-Anne-des-Plaines en 1975. On aperçoit au premier plan, Paul Rose à gauche et François Schirm à droite. Le chauve de la deuxième rangée est Edmond Guénette, le jeune homme au fusil M-1 qui aurait tué le gérant de l'armurerie.
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Source :Louis Fournier, F.L.Q. Histoire d'un mouvement clandestin. (1982) |
Selon Fournier, le camp de Saint-Boniface était approvisionné par une cellule de financement du FLQ qui faisait des hold-up. Trois frères de l'Est de Montréal (Gaston, Serge et Christian Savard) ont été arrêtés pour ce motif.