jeudi 11 février 2010

La Vierge est en prison à Boston

Dans ses mémoires publiées en 1988, l'ancien ministre progressiste-conservateur et député de Trois-Rivières Léon Balcer raconte une anecdote savoureuse au sujet du sanctuaire de Notre-dame du cap situé au Cap-de-la-Madeleine. Son récit, que je retranscris fidèlement, montre bien le caractère commercial qui s'était développé autour du sanctuaire. Il montre aussi la paranoïa dont pouvait faire preuve certains membres du clergé de l'époque face aux étrangers, aux non-catholiques. Voici l'extrait qui commence à la page 63 du livre de Balcer.

Le récit de Balcer

Depuis que le monde est monde, les sanctuaires religieux ont eu à faire face à un problème auquel les responsables ont bien des difficultés à trouver une solution.

Autour de chaque sanctuaire, une armée de commerçants installent des comptoirs ou ils vendent aux pèlerins des tonnes de souvenirs à l'effigie du saint patron des lieux. Au début, il s'agit d'articles religieux : chapelets, missels, images saintes, statues, mais, avec le temps, à ces articles viennent s'ajouter plumes, canifs, assiettes, fanions, lampes, chapeaux, T-shirts, et Dieu sait quoi! rappelant le patron vénéré. Peu à peu, les commerçants laïques sont remplacés par des religieux responsables du sanctuaire. Avec pour résultat que, trop souvent, les pélerins ont la nette impression que leur foi et leur mysticisme sont exploités soi-disant pour «remercier Dieu des bienfaits qu'il déverse sur leurs âmes pieuses».

Cette pratique constitue un danger constant de tomber dans l'exagération et de commettre des erreurs impardonnables, tel que l'illustre le récit qui va suivre.

Au début des années soixante, alors que j'étais membre du cabinet fédéral, je reçois la visite, à mon bureau de Trois-Rivières, d'un oblat du sanctuaire de Notre-Dame du Cap-de-la-Madeleine. Ce religieux m'avait prévenu au téléphone qu'il s'agissait d'un problème urgent d'une extrême gravité. En entrant dans mon bureau, il m'annonce sans perdre une minute que Notre-Dame du Cap était victime d'un épouvantable complot dont l'âme dirigeante était nul autre que le gouvernement «anti-catholique» des États-Unis. Le lecteur admettra que l'accusation était de taille.

Comme je commençais à lui faire part de mon incrédulité, il m'apprend que la statue miraculeuse de la Vierge est en prison à Boston. J'essayai de m'imaginer quel crime notre pauvre madone avait pu commettre pour mériter un tel sort!

Il me dit laconiquement : «Je ne peux vous en dire plus.» Je lui expliquai qu'il ne s'agissait pas d'une simple affaire de tous les jours et que, s'il voulait que je l'aide, j'étais en droit d'obtenir certaines précisions. Après une longue réflexion, il consentit à me raconter le drame à partir du commencement.

Depuis plusieurs années déjà, une statue de la Vierge, montée sur un chariot en forme de pont de chapelets parcourait les villes et les villages de la province de Québec afin d'attirer les pèlerins au sanctuaire de Notre-Dame du Cap. Ces tournées à travers le Québec avaient connu un tel succès qu'on décida de promener la statue dans les villes et les villages à prédominance catholique du Nord-Ontario et du Nouveau-Brunswick. Ces tournées devinrent à tel point populaires qu'on organisa de semblables visites outre-frontière en Nouvelle-Angleterre où règnait déjà une grande dévotion à Notre-Dame du Cap, parmi les populations franco-américaines catholiques.

Le chariot était donc parti vers la frontière américaine, accompagné d'un camion rempli de souvenirs à l'effigie de la Madone. Comme je l'ai expliqué plus haut, il ne s'agissait pas seulement d'articles religieux, mais tout autant de bibelots de caractère utilitaire : porte-clefs, canifs et autres breloques.

La caravane arriva donc à la frontière où les douaniers américains, après une inspection attentive des deux véhicules, annonçèrent aux chauffeurs que, s'il n'y avait aucune restriction à ce que le chariot contenant la statue et le pont de chapelets entre sans frais de douane, il n'en était pas de même pour le camion et toute sa marchandise. Celle-ci était frappée de frais de douane s'élevant à la somme de 9 000 $.

Il s'ensuivit une très longue discussion, mais les douaniers ne voulurent rien entendre. Le responsable de la caravane refusa de payer le dit montant, décida de faire demi-tour et mis le cap sur Sherbrooke. Rendu en cette ville, il rencontra un ancien policier qui lui offrit de lui faire passer la frontière par un petit chemin de campagne mal surveillé par les garde-frontières américains.

Le lendemain matin, il tentèrent leur chance. Mal leur en prit car, aussitôt rendu sur le sol américain, il furent repérés. Le chariot, le camion et les bibelots furent saisis sur-le-champ et transportés à Boston pour y être remisés sous scellés dans un entrepôt des douanes américaines. Cette fois, il ne s'agissait plus de simples droits de douane de 9 000 $ : on y ajoutait une amende d'un autre 9 000 $.

Le pauvre religieux ajoute : «C'est de la persécution, c'est un complot contre notre religion.»

Je lui réponds : «Mais vous n'avez pas le choix. Vous avez enfreint la loi. Il faut payer. Je ne crois pas que vous puissiez vous en tirer autrement.»

- «C'est précisément pourquoi je suis venu vous voir, il faut que le gouvernement intervienne.»
Sur ce, il me demande de lire un document. Il s'agit de la copie d'une lettre qu'il avait fait parvenir à Foster Dulles, alors secrétaire d'État des États-Unis. Dans sa missive, il mettait ce dernier au courant de cet ignoble complot contre la religion catholique et l'implorait de se servir de toute son influence au sein du gouvernement américain pour que la Vierge retrouve au plus tôt sa liberté. Il prenait soin de rappeler à Monsieur Dulles qu'en tant que père d'un jésuite, il ne pouvait fermer les yeux devant un tel sacrilège.

Je n'en croyais pas mes yeux. Je lui demande si réellement il a envoyé cette lettre. Il me répond dans l'affirmative, ajoutant qu'il n'avait même pas eu un accusé de réception! et il enchaîne en me demandant de faire intervenir le premier ministre Diefenbaker ou le secrétaire d'État aux Affaires extérieures.
J'imaginai la tête de Diefenbaker m'écoutant au cabinet lui raconter cette histoire abracadabrante. Quel pique-nique nous aurions déclenché! (...)
Voir aussi : Duplessis admirait-il Hitler?

Aucun commentaire: