mardi 24 novembre 2009

Cage d'oiseau

Hector de Saint-Denis-Garneau (1912-1943) a contracté à l'âge de 16 ans une fièvre rhumatismale qui lui a laissé une lésion au coeur. Sa perception du monde change alors brutalement; il prend conscience de la fragilité de sa vie.

Le 24 octobre 1943, Saint-Denys-Garneau est pris d'un malaise alors qu'il fait du canot sur la rivière Jacques-Cartier. Il s'approche de la rive pour demander de l'aide chez Joseph-Louis Boucher. Il accoste et débarque de son canot mais, au lieu de se diriger vers la rive, il s'enfonce plus profondément dans la rivière. On le retrouvera noyé.


Cage d'oiseau

Je suis une cage d'oiseau
Une cage d'os
Avec un oiseau

L'oiseau dans ma cage d'os
C'est la mort qui fait son nid

Lorsque rien n'arrive
On entend froisser ses ailes

Et quand on a ri beaucoup
Si l'on cesse tout à coup
On l'entend qui roucoule
Au fond
Comme un grelot

C'est un oiseau tenu captif
La mort dans ma cage d'os

Voudrait-il pas s'envoler
Est-ce vous qui le retiendrez
Est-ce moi

Il ne pourra s'en aller
Qu'après avoir tout mangé
Mon coeur
La source du sang
Avec la vie dedans

Il aura mon âme au bec.



On trouve un site entièrement concacré à Saint-Denis-Garneau ici.

Voir aussi sur ce blog : L'enfant est partie

mardi 17 novembre 2009

L'alcool à Yamachiche en 1851

Le notaire Petrus Hubert est né à Yamachiche le 18 août 1810, de Pierre Hubert et de Marie-Louise Carbonneau. Il a fait ses études au Séminaire de Nicolet de 1821 à 1828 et a été admis à la profession de notaire en 1834. Petrus Hubert est l'auteur du premier manuel de notariat canadien.

Il a été nommé responsable du recensement de la population de Yamachiche en 1851. Normalement, les recenseurs se contentaient de remplir des tableaux de données mais Petrus Hubert a cru bon d'ajouter un texte où il fait une appréciation morale des paroissiens qu'il a rencontrés.

Il énumère d'abord le nombre de commerces et d'établissements de toutes sortes : "Il n'y a pas d'auberges ni de tavernes, mais il y a 4 maisons de pension. Il y a 6 magasins, 8 boutiques de forgerons, 4 boutiques de tanneurs, 7 boutiques de cordonniers, 12 boutiques de menuisiers, 1 boutique de voituriers, 2 boutiques de potiers ..."

Yamachiche était en 1851 le centre urbain le plus important de la Mauricie après Trois-Rivières. De plus, le village était très bien situé sur le chemin du Roy, une des routes les plus passantes de l'époque. Qu'il n'y ait eu aucune auberge ou tavernes, c'est-à-dire aucun commerce vendant de l'alcool, est vraiment étonnant. On pourrait croire que des alambics fonctionnaient à plein régime dans le fond des rangs. Mais non! Petrus Hubert nous apprend que les problèmes liés à l'alcool ont été réglés grâce aux sociétés de tempérance :

"Nous avons la satisfaction de pouvoir constater, par l'expérience de nos visites domiciliaires en faisant ce rescensement, qu'il s'est opéré dans la paroisse depuis quelques années une amélioration frappante dans la condition des familles et des individus; on n'y a nulle part rencontré le spectacle d'une indigence et d'une misère désolante, comme il était arrivé auparavant d'éprouver en quelques endroits de pénibles impressions; et nous sommes convaincus que le retour du peuple à la sobriété par l'établissement des sociétés de tempérance y est de beaucoup dans l'heureuse transition morale et physique de la gène à l'aisance qu'ont subie les populations de cette grande paroisse."


Le mouvement de tempérance a débuté aux États-Unis vers 1808. Au Canada français, le principal apôtre de la tempérance a été l'abbé Charles Chiniquy (1809-1899). Fils de notaire, il a étudié au Séminaire de Nicolet de 1822 à 1829, en même temps que Petrus Hubert. Il a été vicaire ou curé dans plusieurs paroisses avant de se consacrer entièrement à la prédication. Il a fondé en 1840 la première société de tempérance à Beauport; ceux qui adhéraient à cette société s'engageaient à ne pas boire de boissons alcooliques et à ne pas fréquenter de cabarets. Doté d'un talent oratoire et d'une forte personnalité de type narcissique, Chiniquy était adulé par les foules. Il a eu des démélés avec les autorités religieuses après avoir été dénoncé, à plusieurs reprises, pour des inconduites sexuelles à l'endroit de "ménagères" qui travaillaient à son presbytère. À chaque dénonciation, ses supérieurs tentaient d'étouffer l'affaire en le déplaçant. Il a fini par s'exiler aux États-Unis, au Michigan, où il s'est converti au protestantisme dans l'Église presbytérienne.

Les sociétés de tempérance, qui avaient pour symbole une croix noire, étaient une manifestion de l'emprise accrue du clergé sur la population canadienne-française. Selon l'historien Jacques Saint-Pierre, vers 1850, elles comptaient environ 400 000 adeptes sur une population totale des 900 000 catholiques, ce qui est énorme. Mais les habitants trouvaient quand même le moyen de prendre un petit coup. Dans ses mémoires, Jos-Phydime Michaud raconte : "Avant 1914, chaque habitant faisait lui-même son gin et son whisky. La fabrication avait augmenté, surtout depuis la fermeture des hôtels à Kamouraska après la campagne de tempérance. La bouteille de whisky coûtait très cher et il était difficile de s’en procurer" (Kamouraska de mémoire… Souvenirs de la vie d’un village québécois).

Ajout : Il semble que les problèmes de comportement de Chiniquy aient commencé tôt, dès l'adolescence. Dans la Revue d'histoire de l'Amérique française (vol 12, no 4, 1959), W. J. Price raconte pourquoi le père adoptif de Chiniquy, le marchand Amable Dionne, qui finançait ses études au Séminaire de Nicolet, a rompu tous ses liens avec lui en 1825. Alors âgé de 16 ans, Chiniquy aurait attenté à la vertu de ses soeurs adoptives, les filles du marchand Dionne. Il a ensuite raconté que c'était à cause d'un petit montant d'argent (28 chelins) qu'il avait dépensé que son père adoptif l'avait renié. Impressionnés par son talent, les prêtres du Séminaire de Nicolet l'ont cru et ont décidé de le garder gratuitement comme pensionnaire.

Bizarre : Une ville du Michigan porte le nom de Temperance.

mercredi 11 novembre 2009

Les femmes du cordonnier Lacombe

Le cordonnier Edmond Lacombe (1863-1941), fils d'Onésime et de Louise Martin, était originaire de la paroisse de Saint-Barnabé-Nord en Mauricie. Il a eu deux épouses qui portaient des prénoms peu communs. Sa première femme, Deigneur Gélinas, lui a donné 18 enfants vivants. Sa deuxième femme, Fridoline Blais, a vécu cent ans.

Deigneur la féconde (1871-1929)

Le prénom de Deigneur Gélinas, fille de Thomas Gélinas et d'Alphie Bellemare, a été écrit de toutes les façons : Daigneur, Dagneur, Degneur, Digneur, Dégneure, Deneur, Dagnès, Meigneur, Lagnure, etc. J'ignore d'où il vient; c'était peut-être une déformation d'un prénom anglais qui étaient en vogue à cette époque.

Elle s'est mariée en 1887 à l'âge de 16 ans. Elle a eu son premier enfant dix mois plus tard et son dix-huitième à 44 ans : Lydia (née en 1887), Virginie (1888), Philémon (1890), Anna (1891), Alfred (1892), Camille (1893), Armédia (1894), Graziella (1896), Wilbray (1897), Rosée (1898), Aldéa (1899), Alphonse (1904), Généré (1905), Albert (1907), Simone (1908), Gérard (1911), Roland (1913) et Lucienne (1916).

Neuf enfants sont décédés avant d'atteindre l'âge adulte. L'année 1898 a été particulièrement éprouvante alors que trois petits, Camille (5 ans), Armédia (4 ans) et Graziella (18 mois) sont morts durant l'hiver, peut-être d'une grippe ou d'une autre maladie infectieuse. Cet hiver-là, la famille habitait à Saint-Mathieu-du-Lac-Bellemare, un village forestier situé au nord de Saint-Boniface-de-Shawinigan, et Deigneur était enceinte pour la dixième fois.

Après leur mariage, ils ont vécu d'abord à Saint-Boniface-de-Shawinigan (1887-1893), puis à Sainte-Flore et à Saint-Mathieu avant de s'établir définitivement à Grand-Mère. La carte postale qui suit présente une vue générale de la ville de Grand-Mère vers 1905-1910 (photo de J.A. Roy). On voit à l'arrière-plan l'usine de pâte Laurentide autour de laquelle la ville s'est développée.



Deigneur Gélinas est décédée à Grand-Mère le 11 janvier 1929 à l'âge de 57 ans. Edmond Lacombe est demeuré veuf pendant cinq ans. En 1935, il s'est remarié avec Fridoline Blais , une veuve âgée de 68 ans.


Fridoline la centenaire (1867-1967)

Contrairement à Deigneur, Fridoline Blais s'est mariée tard. Selon l'âge inscrit sur son acte de sépulture, elle serait née en mai 1867, l'année de la Confédération. Elle était la fille de Georges Blais et de Sophie Saint-Pierre de Saint-Barnabé. Au recensement de 1901, elle était encore célibataire (on disait alors vieille fille) et vivait seule avec sa mère à Yamachiche.

En 1904, à l'âge de 37 ans, elle a épousé un veuf Joseph Lacombe. Ensemble, ils ont eu une fille qu'ils ont prénommée Fridoline comme sa mère (la petite n'a pas aimé son prénom et en a changé plus tard pour celui de Jeannette). Ils ont vécu à Saint-Étienne-des Grès dans le comté de Saint-Maurice où Joseph est décédé en 1934.

L'année suivante, Fridoline Blais s'est remariée avec Edmond Lacombe, veuf de Deigneur Gélinas. Ce deuxième mariage a duré à peine 6 ans. Edmond est mort le 27 novembre 1941 à Grand-Mère.

Fridoline est décédée le 16 septembre 1967, l'année de l'Exposition universelle de Montréal. Elle a été inhumée à Saint-Étienne-des-Grès. Selon l'acte de sépulture, elle était âgée de 100 ans et 4 mois. Il est à noter que sa mère Sophie Saint-Pierre (1827-1924) a vécu elle aussi très longtemps, soit jusqu'à l'âge de 97 ans, ce qui démontre bien le caractère héréditaire de la longévité.

Voir aussi sur ce blog : Quand Grand-Mère était jeune.