dimanche 21 décembre 2014

Le petit-poisson de Noël

On pêche encore aujourd'hui en hiver, sur les glaces des rivières Sainte-Anne et Batiscan, le poulamon atlantique aussi appelé petit-poisson des chenaux. Son nom lui vient des chenaux qui sont formés par les îles à l'embouchure de la rivière Saint-Maurice, à Trois-Rivières. Au dix-neuvième siècle, on pêchait le poulamon atlantique à cet endroit pendant la période des fêtes, entre Noël et les Rois. On l'appelait alors le petit-poisson de Noël.

Le poulamon atlantique (Microgradus Tomcod)


En 1895, l'historien Benjamin Sulte nous a décrit cette pêche dans le volume 20 de ses Mélanges historiques :
" L'hiver, c'est un autre spectacle. La neige couvre les îles, les chenaux disparaissent sous une couche de glace. Dans ces lieux désolés, le lièvre et le renard tracent leurs pistes, que le chasseur suivra bientôt d'un oeil attentif. De temps à autre, une voiture passe sur le chemin de la traverse, balisé de petits sapins plantés dans le mol édredon qui recouvre les eaux durcies par l'action de l'hiver.
Mais, durant la semaine qui précède la fête de Noël, tout change, les îles s'animent en quelque sorte ; partout circule une population affairée ; on dresse des cabanages ; la tranche de fer et le godendard entament la glace sur une cinquantaine de points choisis à certaines distances les uns des autres ; le travail se continue jour et nuit jusqu'à ce que des ouvertures soient pratiquées au goût des pêcheurs, car il s'agit de pêcher le fameux petit-poisson de Trois-Rivières !
Chaque trou mesure de douze à quinze pieds de longueur sur cinq de largeur. On y enfonce un long coffre formé de quatre baguettes de bois de frêne revêtues de rêts ; l'un des bouts du coffre est ouvert et placé à l'encontre du poisson qui remonte le courant, et qui entre par masse dans ces appareils ; après quelques minutes d'attente, le pêcheur soulève la gueule du coffre, tire le tout hors de l'eau ; vous voyez alors frétiller sur la glace des centaines de petits êtres qui gèlent, en attendant la poêle à frire. On en prend plus de 40,000 boisseaux chaque hiver, en deux semaines seulement parce que, avant Noël, il n'est pas encore arrivé. et aux Rois, il achève sa course vers le rapide des Forges. Cette manne n'a qu'un temps. "

Pêche au poulamon, Trois-Rivières, Qc, 1890 (Musée McCord)

Déclin du petit-poisson des chenaux


Une dizaine d'années plus tard, Benjamin Sulte ajoutait une note en bas de page :
" Ces lignes étaient écrites en 1895. Depuis lors, les usines de Shawinigan Falls et de Grand-Mère ont pollué les eaux ; le petit-poisson venant de la mer, s'arrête pour frayer à la rivière Champlain et aux battures de Batiscan. Et il ne tardera pas à disparaître tout à fait."
Heureusement, sa prédiction ne s'est pas avérée. S'il a disparu des chenaux de Trois-Rivières, à cause de la pollution de la rivière Saint-Maurice, le petit-poisson de Noël remonte toujours à chaque année les rivières Sainte-Anne et Batiscan. 


dimanche 7 décembre 2014

À propos de Victoire Dorer

On trouve au registre de la paroisse de Saint-Charles-des-Grondines, dans le comté de Portneuf,  deux actes de baptême qui pourraient être celui de Victoire Dorer.

Parents omis


Victoire Dorer a épousé Jean Hamelin le 23 janvier 1832 aux Grondines.  Ils ont eu dix enfants. Malheureusement, les noms des parents de Victoire ne sont pas mentionnés dans l'acte de mariage :



Cette omission est embêtante pour ses descendants qui sont nombreux. Un pan de leur tableau d'ascendance s'en trouve bloqué. Les noms des témoins au mariage ne nous aident pas non plus : ils ne son pas apparentés à des Dorer.

Un détail révélateur : le célébrant inscrit que Victoire est mineure mais, contrairement à la règle, ne mentionne pas le consentement de ses parents. Il aurait dû exiger leur consentement ou celui d'un tuteur. Ce détail m'amène à croire que le curé Charles Hot ne pouvait pas, ou encore ne voulait pas, révéler l'identité des parents de Victoire.

Victoire Dorer a été citée 13 fois au registre des Grondines entre 1832 et 1855, sous les identités suivantes :
  • Victoire St-Jean (8 fois)
  • Victoire Dorer (3 fois)
  • Victoire (2 fois)
Par ailleurs, j'ai vérifié les noms des parrains et marraines de ses dix enfants et il n'y a aucun Dorer dit Saint-Jean parmi eux, ni aucun conjoint de Dorer.

Voilà pour le mariage de Victoire Dorer. Pour ce qui est de sa naissance, deux actes du registre de Saint-Charles-des-Grondines nous offrent des pistes de recherche  : celle d'une naissance illégitime et celle d'un changement de prénom.

Naissance illégitime ?


L'absence des noms des parents d'un conjoint dans un acte de mariage peut être purement accidentelle, mais une telle omission peut aussi signifier que la naissance de cette personne était illégitime aux yeux de l'Église catholique. Si les parents d'un enfant n'avaient pas été nommés lors de son baptême, on ne voulait pas révéler leur identité lors de son mariage. C'était un stigmate que l'enfant portait toute sa vie.

Victoire avait 47 ans au recensement de 1861 à Grondines, ce qui situe l'année de sa naissance en 1813 ou 1814. Or, on trouve l'acte de baptême suivant dans le registre de Saint-Charles-des-Grondines en date du 13 octobre 1813 :



Cet acte de baptême sous condition de Marie Victoire illégitime, née de parents inconnus, ne nous donne aucun indice qui nous permette de poursuivre les recherches. Les noms du parrain et de la marraine ne nous apprennent rien sur l'identité de l'enfant.

Par ailleurs, j'ai remarqué que deux autres fois, lors des baptêmes de ses enfants, le curé avait omis le nom de famille de Victoire, en 1839 et 1841.

Mais pourquoi Victoire aurait-elle porté le nom de Dorer si ses parents étaient « inconnus » du célébrant lors de son baptême ? Je vois quatre possibilités théoriques :
  1. Son père s'appelait Dorer
  2. Sa mère s'appelait Dorer
  3. Sa mère a épousé un Dorer
  4. Victoire a été adoptée par des Dorer
À ma connaissance, une seule famille de Dorer vivait aux Grondines à cette époque. Joseph Doraire dit Saint-Jean a épousé Marie-Joseph Sauvageau le 3 mars 1794 à Deschambault, paroisse voisine des Grondines. Ils ont eu onze enfants aux Grondines, dont seulement cinq étaient encore vivants en 1813, année de la naissance de Victoire : une fille de 18 ans prénommée Marie-Joseph et quatre jeunes enfants.

Cette famille a quitté la région. On la retrouve à Saint-Pierre-les-Becquets en 1817 au mariage de leur fille Marie-Joseph Doraire dite Saint-Jean avec Augustin Dupuis.

Changement de prénom ?


Il existe une deuxième piste de recherche, celle du changement de prénom.

Joseph Doraire dit Saint-Jean et Marie-Joseph Sauvageau ont eu une fille prénommée Marie le 28 décembre 1812 aux Grondines. On perd ensuite sa trace.  Est-ce que cette Marie serait devenue la Victoire qui a épousé Jean Hamelin en 1832 ?



Conclusion


Les deux scénarios sont possibles. Malheureusement, dans les deux cas, on ne peut pas prouver que l'enfant baptisé est la Victoire Dorer qui s'est mariée en 1832.

À mon avis, la naissance illégitime est plus probable que le changement de prénom. Trois raisons me portent à privilégier ce scénario :

  • l'omission du nom des parents lors du mariage me semble volontaire : le célébrant aurait dû exiger et faire part d'un consentement pour une fille mineure mais il  ne l'a pas fait ; 
  • Victoire n'a pas conservé de liens avec les Dorer, aucun n'a été parrain ou marraine de ses dix enfants ;
  • dans une paroisse aussi petite que Grondines, le baptême d'une Victoire illégitime, l'année même de la naissance de Victoire Dorer, me semble trop improbable pour n'être qu'une coïncidence.

Mis à jour le 8 décembre 2014

mercredi 3 décembre 2014

Joseph Carufel mort pour la Nouvelle-France


Un court texte, inséré dans le registre de la paroisse de Saint-Antoine de la Rivière-du-Loup (Louiseville), fait état du décès de Joseph Carufel tué sur le champ de bataille le 28 avril 1760. Cette date correspond à la bataille de Sainte-Foy qui a été gagnée par les troupes du chevalier de Lévis, en route pour reprendre la ville de Québec aux Anglais.

"Le 28 avril 1760 a été tué sur le champ de bataille et enterré à ...  joseph Carufel âgé d'environ 28 ans."  signé P Audrau j



Ce n'est pas vraiment un acte de sépulture. Le jésuite Pierre Audrau, missionnaire à Maskinongé, ignorait où avait été enterré le corps de Joseph Carufel, peut-être dans une fosse commune après la bataille. Il a donc laissé un espace en blanc pour éventuellement ajouter le nom du lieu de sépulture s'il venait à le connaître.

La bataille de Sainte-Foy


Je crois que des troupes du régiment du Languedoc étaient stationnées près de Maskinongé en 1759-1760. En effet, plusieurs soldats de ce régiment ont été cités dans le registre de la Rivière-du-Loup, dans des actes relatifs à des habitants de Maskinongé : le capitaine Honoré-Louis de Cléricy (cité le 15 janvier et le 13 décembre 1759), le lieutenant Emmanuel de Cléricy (15 janvier 1759), le grenadier Olivier (28 janvier1760) et le capitaine des grenadiers D'Aiquebille (13 mars 1760). À l'époque, les soldats logeaient chez l'habitant.

Joseph De Carufel s'est-il engagé dans ce régiment ? Chose certaine, il faisait partie des 6000 hommes qui ont convergé vers Québec après la défaite des Plaines d'Abraham. Le chevalier François-Gaston de Lévis, qui avait pour mission de reprendre la capitale de la Nouvelle-France aux Anglais, commandait une armée composée de 2400 soldats réguliers, 2600 miliciens et 1000 alliés amérindiens.



La victoire de Sainte-Foy, que Joseph de Carufel a payée de sa vie le 28 avril 1760, allait permettre à l'armée de Lévis d'assiéger la ville de Québec. Mais le siège a dû être levé après deux semaines, à l'arrivée des renforts britanniques. Lorsqu'il aperçut la flotte anglaise remonter le fleuve Saint-Laurent, Lévis se serait écrié : La France nous a abandonnés ! Du moins, c'est ce qu'on nous a appris dans les manuels scolaires.

Les Sicard de Carufel


Le défunt Joseph Carufel (1732-1760), fils de Joseph Sicard de Caufel et d'Ursule Foucault, était marié à Louise Vanasse dite Vertefeuille, mais n'avait pas d'enfant. Un fils est mort en bas âge. Sa jeune veuve s'est remariée avec Jacques Dupuis onze mois plus tard, le 30 mars 1761. Elle a eu plusieurs enfants de ce second mariage.

Carufel appartenait à une famille de militaires issue de la petite noblesse française. Son grand-père, le seigneur Jean Sicard de Carufel (1664-1763), un ancêtre de ma conjointe, était un officier des troupes de la Marine, enseigne de la compagnie des Meloizes. Il a été capitaine de milice après sa retraite de l'armée. Je crois que tous les hommes de cette famille, fils et petits-fils du seigneur de Carufel, ont servi dans la milice canadienne, dont quelques-uns comme officiers.

Le grand-père Jean Sicard était originaire de Saint-Jacques de Castres dans le Haut-Languedoc, fils de Pierre Sicard De Carufel, avocat en parlement, et de Marie De Fargues. La seigneurie de Carufel que possédait sa famille se situait près de Fauch au nord de Castres.

En 1705, l'officier Jean Sicard s'est fait concéder une seigneurie en Nouvelle-France et lui a donné le nom de Carufel en souvenir de celle qui appartenait à sa famille en France. La nouvelle seigneurie de Carufel était située au nord de celle de Maskinongé et couvrait le territoire actuel de la paroisse de Saint-Justin.