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lundi 21 septembre 2015

L'exploitation du suicide d'une adolescente en 1916

J'ai grandi dans une société qui nageait à contre-courant dans l'eau bénite, alors la réaction plutôt brutale du clergé à l'arrivée du cinéma, un médium qu'il ne contrôlait pas, ne m'étonne pas du tout. Dans l'article de presse qui suit, qui n'est pas signé, un membre du clergé exploite un fait divers, le suicide d'une adolescente, pour mettre en garde le public contre les effets pernicieux du cinéma.

Le contexte


La première salle de cinéma permanente à Trois-Rivières, le Théâtre Bijou sur la rue des Forges, a ouvert ses portes en 1909, un an après le grand incendie qui a détruit le centre-ville. Plusieurs autres salles se sont ajoutées au cours des années suivantes dont Le Casino en 1910 et Le Gaieté en 1913. Elles présentaient des « vues animées », c'est ainsi que l'on nommait les films muets à cette époque.

Intolerance : film américain muet sorti en 1916.

Le 22 juin 1916, le journal Le Bien Public de Trois-Rivières consacrait deux colonnes de sa première page au suicide d'une adolescente qui allait au cinéma à l'insu de ses parents. Je reproduis in extenso cet article du Bien Public, un journal conservateur qui était contrôlé par le diocèse de Trois-Rivières.

L'article du journal Le Bien Public

La plupart de nos lecteurs ont appris le suicide de cette fillette trifluvienne qui, le 16 juin vers 5:30 heures du soir, allait se jeter dans le fleuve, près du quai Bureau, et ne réapparût point.
L'enfant appartenait à une excellente famille ouvrière. Elle n'avait que 13 ans et 9 mois. À cet âge où, règle générale, l'on ne songe qu'à s'amuser, où l'on ne connaît ni les noirs chagrins, ni les désillusions ni les amertumes de la vie, qui donc a pu mettre en ce cerveau enfantin l'horrible idée du suicide ? Qui donc a pu amener une fillette à une si affreuse détermination que celle de s'ôter la vie ? Telle est bien la question que tout le monde se posait à l'audition de la sinistre nouvelle. 
Une enquête faite sérieusement nous permet de donner aujourd'hui, avec l'autorisation de la famille si douloureusement éprouvée, les détails suivants. Ils éclairciront un peu le mystère, et la leçon qui s'en dégage devient, nous semble-t-il, fort instructive.
Notons d'abord qu'il ne saurait exister le moindre doute sur la réalité du suicide. Des pêcheurs ont vu la fillette s'avancer lentement sur le quai, reculer d'abord de quelques pas en arrivant au bord de l'abîme, déposer manteau et coiffure près de la voie ferrée, puis revenir plus résolument et se lancer dans les flots. Ils ont vainement tenté de lui porter secours.
Mais y a-t-il eu préméditation ? L'enquête révèle que oui, hélas ! C'est la mère de l'enfant, ce sont ses anciennes compagnes qui apportent sur ce point des témoignages se confirmant les uns par les autres.
Depuis cinq ou six mois, déclare en substance la mère désolée, R. était devenue sombre, jongleuse, revêche, incontrôlable, Il ne nous fut plus possible de l'empêcher de sortir même le soir. Or, nous ne tardâmes pas à nous rendre compte que c'était surtout pour aller aux vues qu'elle sortait si souvent. Et de jour en jour elle devenait plus maussade, plus insoumise, plus impolie, plus insupportable. Soupçonnant bien que la fréquentation des cinémas n'était pas étrangère à ce changement, je résolus un jour de les lui interdire absolument. 
- Et comment accueillit-elle votre défense ?
- La pauvre enfant répondit : si vous ne me laissez pas aller aux vues, vous ne me trouverez plus.
Deux amies de R. interrogées l'une après l'autre, déclarent l'avoir entendu proférer des menaces analogues à propos de la même défense, menaces de désertion ou de suicide.
- Je m'en irai à Montréal. Je me tuerai. Évidemment, elles crurent à un badinage, mais tel était le travail accompli en cette imagination enfantine que déjà (la suite des événements le prouve) elle était prête à faire n'importe quoi plutôt que d'abandonner les vues.
Les premières menaces de cette nature furent faites environ deux mois avant le jour fatal. Et la fillette irréductible continua ses descentes aux cinémas. Une fois, sa mère alla l'en faire sortir de force par le gérant. Employée dans une fabrique, elle demandait souvent congé dans l'après-midi et empruntait de l'argent à son patron pour aller aux théâtres. Détail intéressant et qui établi quelle profonde perturbation même physique peuvent produire en un cerveau juvénile ces fameux films : depuis environ deux mois affirme la mère, R. paraissait avoir des cauchemars ... elle dormait peu et mal ; elle rêvait tout haut. Une nuit qu'elle avait paru plus agitée, je lui demandai, le matin venu, à quoi elle avait rêvé. Je voyais répondit-elle deux filles poursuivies par un cavalier ; celui-ci tirait du revolver ... Une autre fois, c'était une jeune amoureuse qui se jetait à l'eau.
Dans la journée du 6 juin, en dépit de la défense renouvelée, il appert que la malheureuse fillette retourna à ses chères vues. Ce devait être pour la dernière fois. Vers 5 heures pm, après une courte visite chez une connaissance à laquelle R. parut surexcitée, elle réintégra le foyer triste et pensive. À ce moment, la mère lui reprocha à nouveau son insoumission mais ne la battit point contrairement à ce que d'aucuns ont prétendu.
Quelques instants plus tard, la malheureuse s'esquivait et allait mettre fin à ses jours.
Était-elle, à ce moment-là, absolument responsable de ses actes ? Il est à espérer que non et alors Dieu aura eu pitié de la pauvrette plutôt victime que coupable.
Mais la cause en ce cas, de ce déséquilibre mental, n'est-elle pas assez patente ? Et comment se fait-il qu'en dépit de la loi, tant de garçonnets et de fillettes en dessous de 15 ans pénètrent librement dans les salles de cinéma ? Comment expliquer qu'un si grand nombre de parents y conduisent ou y laisse aller leurs enfants qui n'ont pas encore seulement franchi le seuil de l'école.

mardi 4 décembre 2012

Le juke-box infernal

En octobre 1951, lors d'une conférence du Club Richelieu de Shawinigan, M. Jean Charbonneau, directeur des Chanteurs Lavallée-Smith, exposait les méfaits de la musique lascive. Il a dénoncé les grands dangers que présentent pour notre jeunesse les infernales boîtes musicales qu'on trouve dans les restaurants et autres endroits publics :
« Vous vous occupez de l'enfance malheureuse, a dit M. Charbonneau à ses auditeurs. C'est vraiment un malheur pour l'enfance que de subir cette déformation de notre mentalité due à ces machines musicales infernales. Les enfants aiment la musique et ne demandent qu'à entendre et connaître la meilleure musique. Aidez, par vos efforts, à faire disparaître cette menace de déformation qui plane sur notre jeunesse. Car il faut vivre sa vie au point de vue spirituelle (sic), et ce n'est pas avec la musique la plus sensuelle que nous y arriverons. » (Les Chutes de Shawinigan, 31 octobre 1951)


Le juke-box ci-dessus est un modèle ancien qui jouait des 78 tours. On le plaçait au milieu du  restaurant. Celui qui y mettait une pièce imposait son choix musical à toute l'assemblée. Des clients pouvaient s'attrouper, se rencontrer et même danser devant le juke-box, comme le chantaient si justement Akim et Sheila en 1965 :

 
Akim et Sheila - Devant le Juke Box par Galaxiestarwars

Le juke-box à 45 tours est apparu au début des années 1950. Grâce au format plus petit des disques, il devint possible de réduire la taille de l'appareil pour le placer sur les tables des restaurants. Chaque client pouvait désormais choisir sa propre musique qui se mêlait quand même un peu à celles des tables voisines.


Les juke-box sont disparus des lieux publics vers le milieu des années 1970. 

samedi 17 novembre 2012

Deux jeunes filles en shorts

Un article publié dans le journal hebdomadaire Les chutes de Shawinigan, le 1er août 1951 :

Les "shorts" ont conduit deux jeunes filles au recorder

Deux jeunes filles du Cap-de-la-Madeleine venues ici en bicyclette et qui se promenaient en shorts sur la rue ont été appréhendées par la police. Traduites devant le recorder, Me Joseph Lafond, elles plaidèrent coupable et furent condamnées à payer une amende de deux dollars et les frais de la cause. Le recorder leur a fait des remontrances et leur a fait observer l'inconvenance qu'il y avait pour des jeunes filles de se promener ainsi en ville dans un tel accoutrement. 

S'il arrivait que d'autres jeunes filles suivent leur exemple, elles subiront le même sort, parce que la police est bien déterminée à faire respecter à la lettre cet article du règlement de police qui défend aux jeunes filles et aux femmes de circuler sur les trottoirs de la cité dans des costumes inconvenants. 

Pour revenir aux deux demoiselles du Cap, en raison de circonstances atténuantes, elles bénéficièrent d'une sentence suspendue, et en furent quittes en payant les frais de la cause.

Cet article soulève deux questions : 
  1. Quelles furent les circonstances atténuantes qui ont permis aux jeunes filles d'éviter l'amende ?
  2. Quel genre de shorts portaient-elles ?

Pour répondre à la deuxième question, il appert que dans les années 1950, les femmes disons émancipées pouvaient porter trois types de shorts, selon la longueur :
  1. Les short shorts, ancêtres des hot pants, qui montaient 6 pouces en haut du genou. Ce modèle était réservé à la plage et aux pinups.
  2. Les shorts Bermudas qui montaient 3 pouces en haut du genou. Un peu osé pour l'époque quand même.
  3. Les shorts longs, en bas du genou, qui étaient conçus pour les cyclistes. 

vendredi 9 mars 2012

Un naturel anglais

Un naturel anglais de 2 ans prénommé Wilbrun a été recensé à Trois-Rivières en 1852. C'est la première fois que je trouve une telle mention dans un recensement. 

Il vivait chez la veuve Marie L Ouellette (50 ans) et ses trois filles célibataires : Marie Charrette (23 ans), Julie Charrette (20 ans) et Marguerite Charrette (17 ans). Les quatre femmes exerçaient le métier de blanchisseuse. Marie L Ouellette est née à Kamouraska et ses trois filles, à Trois-Rivières. L'enfant Wilbrun est aussi né à Trois-Rivières selon le recensement.

Dans le contexte de l'époque, naturel désigne un enfant dont les parents n'étaient pas mariés au moment de sa conception. Wilbrun pouvait être le fils d'une des quatre femmes avec qui il habitait ou encore, un enfant recueilli. Habituellement les enfants qui n'avaient pas de patronyme étaient des enfants trouvés. Dans ce cas-ci, le fait que le recenseur ait inscrit sur le formulaire Angl. pour anglais m'incite à croire que l'identité des parents était connue. Le recenseur a aussi indiqué que Wilbrun n'était pas un membre de la famille de Marie L Ouellette.

D'autres enfants sans patronyme ont été recensés à Trois-Rivières en 1852. Il y avait dix-sept enfants naturels qui vivaient dans une crèche pour enfants trouvés tenue par la famille Péligor. On pense au roman David Copperfield de Charles Dickens écrit en 1850. La vie était plus dure qu'aujourd'hui et les abandons d'enfants plus fréquents à cette époque. Le petit Wilbrun, qui vivait seul avec quatre femmes, était mieux entouré que ces dix-sept enfants trouvés.

Voir aussi sur ce blog : Un dépotoir à nourrissons.

mercredi 8 décembre 2010

Tempérance et réveil religieux

Jean-Patrice Arès a publié en 1990 une thèse intitulée : "Les campagnes de tempérance de Charles Chiniquy : un des principaux moteurs du réveil religieux montréalais en 1840". On peut la trouver sur le web à cette adresse. Je ne vais pas résumer sa thèse, qui est très intéressante à lire, mais simplement faire quelques commentaires sur le mouvement de tempérance et sur l'abbé Charles Chiniquy.

Le mouvement de tempérance catholique au Québec a débuté en 1840, suivant celui des Églises protestantes du Bas-Canada qui s'est amorcé douze ans plus tôt. Selon Arès, les protestants ont orienté leur réforme "vers un discours moraliste visant l'efficacité dans le travail et la prospérité économique, les Sociétés catholiques se distingueront par un propos spécifiquement religieux, dirigé vers le renouveau national." On reconnaît bien les deux solitudes : l'économie d'un côté et la question nationale de l'autre.

Arès mentionne qu'avant ce mouvement, pendant les années 1820 et 1830, on assistait à un certain détachement dans le Bas-Canada pour les valeurs religieuses. La pratique religieuse était à son plus bas et le recrutement du clergé était difficile.

Le mouvement  de tempérance a donc permis au clergé catholique non seulement de lutter contre l'alcoolisme mais aussi d'étendre son emprise sur la société canadienne française. Rappelons que ce mouvement au Québec commence juste après l'échec de la révolte des Patriotes, échec qui avait discrédité les leaders laïcs. Le clergé a donc pu occuper l'espace laissé libre en faisant la promotion d'une idéologie de survivance nationale et religieuse.

Par ailleurs, le texte d'Arès présente une image plutôt positive de l'abbé Chiniquy (1809-1899) qui a été le principal apôtre du mouvement de tempérance au Québec avant d'être excommunié par l'Église catholique pour désobéissance, entre autres motifs. Chiniquy était un prédicateur de très grand talent mais les auteurs francophones sont généralement plutôt critiques à son égard à cause de sa personnalité et de son comportement. On sait que les autorités religieuses l'ont muté à plusieurs reprises d'une paroisse à l'autre pour couvrir des agressions sexuelles et ne l'ont finalement dénoncé qu'après son excommunication dans le but de le discéditer. Voir à ce sujet L'alcool à Yamachiche en 1851 sur ce blog.

samedi 4 décembre 2010

Jeunes filles au coton

L'usine de la Shawinigan Cotton Co, une filature de coton devenue plus tard la Wabasso, a été construite en 1910 sur la rue de la Station juste en face de la vieille gare du Canadien Pacifique (voir La vieille gare du CP sur ce blog).  Des exemptions de taxe foncière avaient été accordées à l'entreprise pour la construction de cette usine que les habitants de Shawinigan  appelaient "le coton".

Notez l'évolution : les mêmes industries qui avaient attiré les Canadiens français en Nouvelle-Angleterre cinquante ans  plus tôt venaient maintenant s'installer de ce côté-ci de la frontière pour profiter des salaires moins élevés. C'était le début de la mondialisation, en quelque sorte. Plus tard, dans les années 1960-1970, on qualifiera ces industries de "secteurs mous" de l'économie québécoise alors que la production se déplaçait en Asie.

La Shawinigan Cotton Co employait une main-d'oeuvre féminine qui provenait des paroisses environnantes, ce qui soulevait des considérations d'ordre moral : comment surveiller ces jeunes filles de la campagne qui se retrouvaient seules en ville ? Dans Shawinigan depuis 75 ans, Fabien Larochelle nous raconte l'inquiétude du clergé et la solution qui a été trouvée pour encadrer les jeunes filles employées au coton :

"L'abbé F. Boulay, curé de Saint-Pierre, voulait assurer une protection aux jeunes filles sans surveillance et toujours trop éloignées de leurs familles qui étaient venues à Shawinigan pour s'y trouver un emploi, plus particulièrement à la filature de la Compagnie de coton. Un foyer de protection pour la jeune fille était la formule toute désignée pour réaliser ses objectifs. Il acheta l'ancienne résidence de M. Beaudry Leman située sur la rue Hemlock, en face du presbytère, et il demanda à la Communauté des Soeurs Dominicaines de venir prendre la direction de la jeune institution. Avec l'autorisation de l'évêque de Trois-Rivières, Mgr Cloutier, quatre religieuses arrivaient à Shawinigan le 21 septembre 1912.
Les débuts s'avérèrent difficiles et la maison fut bien souvent dans un état voisin de la misère. La résidence n'était pas confortable et, en hiver, on y gelait comme dans une glacière. Il en résulta que les jeunes filles, l'une après l'autre, délaissèrent le "Foyer" pour se loger plus confortablement ailleurs."
L'établissement de la rue Hemlock a ensuite été transformé en "jardin de l'enfance", une école primaire  pour garçons. Raymond Lavergne, un cousin de ma mère, y a été pensionnaire de 1945 à 1949.  Bien que la maison soit devenue une école, on continuait à l'appeler le Foyer comme à l'époque où elle recevait des jeunes filles.  Madeleine Robitaille (1928-1950), fille de Roméo et de Blanche Lavergne, a été à l'emploi des Domincaines au Foyer vers la fin des années quarante.

La carte postale représentant la Shawinigan Cotton Co a été postée en 1911, un an après sa construction. On aperçoit la rue Hemlock où se situait le "foyer de protection" sur la colline Saint-Pierre à l'arrière de l'usine.

Voir aussi sur ce blog : Où est l'église ?

(mise à jour le 15 août 2011)