Un article qui a été publié le 14 août 1936 dans le journal La Presse. La campagne électorale dont il est question est celle qui a permis à l'Union nationale de Maurice Duplessis de prendre le pouvoir pour la première fois et de mettre ainsi fin à 39 années de règne libéral.
La plus grande catastrophe de l’auto
L'Église et l'État apportent aux familles des 22 victimes de la plus épouvantable catastrophe de l'auto en Amérique, des prières ferventes et des sympathies émues.
Louiseville. Le baisser de rideau de la campagne électorale dans cette région a été sinistre. En une fraction de seconde 22 hommes - des jeunes gens et même des adolescents— ont été précipités dans l'éternité.
A 11 h. 25 (heure solaire) vendredi (14 août 1936), dans la nuit, un convoi de fret, le No 85 du Pacifique Canadien (convoi communément appelé le «train de papier» car il transporte des usines du bas de Québec le papier à journal destiné aux imprimeries américaines) a frappé à la traverse de Louiseville au mille 61, un camion portant plus de 30 personnes qui revenaient d'une assemblée contradictoire (qui fut tumultueuse) à Saint-Justin. Voilà le fait brutal dans tout son laconisme.
Pour ceux qui en furent témoins - ils sont nombreux - de cet accident, peut-être le plus formidable du genre dans toute l'Amérique du Nord, restera un inoubliable cauchemar.
Jamais l'imprudence d'un chauffeur n'aura accumulé en si peu de temps pareilles horreurs, créé autant de deuils et jeté toute une population dans une consternation indicible.
La traverse à niveau en question se trouve à un demi-mille de la ville. On y arrivait et le chauffeur, Edmond Houle, 45 ans, amateur de vitesse, nous a-t-on dit, aperçut comme bien d'autres le reflet du phare de la locomotive. Habitant Louiseville depuis des années, il n'était pas sans savoir que le fret rapide de Québec n'allait pas tarder.
Il ne pouvait se méprendre sur la nature du reflet lumineux qu'il voyait grandir rapidement. Et il le voyait fort bien car il n'existe aucune obstruction. Un chauffeur, fut-il bien enfoncé dans son siège, ne peut pas ne pas voir une locomotive approcher.
Si peu admissible que cela soit, supposons un moment que M. Houle n'ait pas aperçu la lumière de la locomotive, il a certainement entendu l'appel dramatique du sifflet qui durant trois longues minutes, lança son cri. En outre - ceci est confirmé par quatre des jeunes gens qui ont échappé à la mort - M. Houle fut averti par quelques-uns de ceux qu'il transportait dans son camion:
« M. Houle, le train s'en vient, arrêtez! Arrêtez! »
Enfin, à quelques centaines de pieds de la voie ferrée. M. Houle ne fut pas sans voir trois autos qui avaient complètement stoppé. Même - ceci encore a été raconté par des témoins oculaires - les chauffeurs de ces autos avaient averti de la main M. Houle de ne pas passer.
Mais celui-ci filait! A quelle vitesse? 35 ou 45 milles à l'heure. Qui le dira? Seulement on croit comprendre qu'il a subitement saisi le danger. Que faire? Appliquer les freins? L'auto eut donne sur le convoi. Tenter le coup alors, jouer avec le destin… et passer?
C'est ce qu'il fit ou plus exactement ce qu'il essaya de faire. Des témoins ont vu le camion sauter sous la pression subite de l'accélérateur poussé à fond.
Le camion fut touché à 2 pieds des roues gauche arrière. Ce fut un seul cri d'horreur!
Comme un bolide, le camion de trois tonnes fut soulevé jusqu'à la hauteur de la locomotive. Accomplissant un tour complet sur lui-même, virevoltant, il alla s'écraser, de l'autre côté de la voie, jusqu'au fond du remblai.
Sous le choc, le carburateur du camion éclata - on le retrouva à 100 pieds du véhicule - l'essence se répandit et mit le feu à la cabine du chauffeur. Sur un rayon de 1000 pieds éclairé par le camion en flammes ce n'était que des formes affreusement mutilées. Du champ s'élevait une plainte à fendre l'âme. Le train stoppé le plus prestement possible par son mécanicien formait la toile de fond de cette scène horrible.
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