mercredi 20 janvier 2010

Une dévote

Odélie Gélinas (1858-1930) de Saint-Boniface près de Shawinigan, était une femme très pieuse. On raconte dans la famille qu’elle s’était destinée depuis l’enfance à entrer en religion mais que sa vocation avait été remise en cause quand Elzéar Bourassa, son futur époux, l’avait demandée en mariage. Ils se sont mariés le 16 mai 1876 à Saint-Boniface. Odélie avait alors dix-sept ans seulement. Ils ont eu quatorze enfants. La photo suivante montre Odélie Gélinas assise devant deux de ses filles religieuses : Almida, soeur de la Providence, et Maria, adoratrice du Précieux-Sang.




Sa ferveur religieuse s’était accrue après la naissance de ses enfants, à un point tel que ses proches s’en inquiétaient. Sa fille Angélina (1890-1979), qui était carmélite, écrivait en 1939 : « Durant les quelques vingt dernières années à ma connaissance, elle menait une vie vraiment religieuse, ayant ses heures de silence, de lecture pieuse d’oraison. Si elle en était empêchée le jour, elle faisait ses pieux exercices la nuit… Sous son habit de femme du monde elle portait un rude cilice. Et cela avec tant de discrétion qu’il fallait être très perspicace pour le découvrir… Un jour, effrayée de ses pénitences, j’allai m’en plaindre à Mr. Le Curé J.E. Héroux, il me répondit : Ma petite fille, nous ne pouvons pas nous opposer aux desseins du Bon Dieu. Ta mère n’est pas une femme ordinaire, c’est clair que c’est le Saint-Esprit qui la dirige. »

Odélie Gélinas s’exprimait mieux que des gens plus instruits. Sa fille Angélina y voyait la preuve qu’elle était habitée par le Saint-Esprit. Elle écrivait en 1939 : « Oui je comprend aujourd’hui que c’était véritablement le Saint-Esprit qui était son Guide et son Maître. Elle n’avait pas d’instruction et pourtant avec quelle facilité elle me parlait des choses spirituelles auxquelles je ne comprenais rien alors. Et maintenant, quelle humilité : que de fois elle m’a demandé en pleurant de prier pour elle disant qu’elle n’aimait pas le Bon Dieu, qu’elle était lâche à son service. »

J'ai de la difficulté à croire qu'elle n'avait aucune instruction. Son projet était d'entrer en religion; elle avait donc dû étudier dans un couvent avant de se marier à l'âge de 17 ans. Si c'est le cas, elle pouvait avoir fait l'équivalent d'un secondaire 4 ou 5 aujourd'hui. Quant à son talent, j'y verrais davantage l'effet d'une intelligence exceptionnelle que l'intervention du Saint-Esprit. Mais c'est une question de foi. Qu'on en juge par la lettre qu'elle écrivait en mai 1918 à son fils Antoni qui s'était réfugié chez les Pères Oblats de Marie-Immaculée pour échapper à la conscription :


"Mon bien cher enfant,

C’est ta mère cher Antoine qui franchit le seuil du Monastère pour baiser son fils chéri. Cher enfant c’est donc bien vrai que tu nous a quittés pour suivre ton Jésus. Tu avais entendu son appel au fond de ton cœur, mais un peu lent pour correspondre à ta sublime vocation. Voilà qu’aujourd’hui, temps bien sombre pour la jeunesse, de nombreux obstacles se présentaient sur ta route, et qui semblaient se multiplier davantage à mesure que grandissait ton désir d’être tout à Jésus et à Marie. Fauchée par cette terrible guerre, ta vocation était perdue!… Mais grâce à tes prières, à tes rosaires peut-être? La Sainte Vierge arriva à temps te chercher, pour t’abriter sous le mante de son divin Fils. Oh oui, nous voyons en tout cela l’ouvrage de Marie. « Quiconque l’aime ne peut périr ». Tu l’as beaucoup aimée, mais comme tu es bien récompensé! Ton départ imprévu a broyé mon cœur de mère! Mais au milieu de mes larmes, je ne puis que bénir le Ciel de t’avoir choisi pour « fidèle serviteur de Marie-Immaculée ». Tu as, cher enfant, choisi la meilleure part. Le sacrifice de la séparation est déchirant pour des parents, mais ces sacrifices que le bon Maître nous impose sont bien doux comparé à ceux de tant d’autres de nos jours. Le bon Dieu ne m’en voudra pas je l’espère, pour pleurer le départ de mon cher enfant. N’est-ce pas Lui qui a fait des ses mains divines le cœur d’une mère et qui l’a rempli de tant d’amour et de tant de tendresse? N’a-t-il point pleuré lui-même la perte d’un ami? Il est vrai que tu n’es perdu pour moi, mon cher enfant, et que, du fond de ton Monastère, ton amour pour ta mère ne fera que s’accroître. Que de choses n’obtiendras-tu pas pour ta mère et ton père de ce Cœur blessé d’amour et de l’Immaculée Marie. Dans mes ennuis, quand la tristesse envahit mon âme, j’accours me réfugier dans le Sacré-Cœur. C’est au pied de la croix que nous déposons tout; c’est là que nous trouvons la force, la consolation; c’est là aussi que nous te retrouvons cher enfant. C’est aussi là que nous reconnaissons, non les sacrifices, mais les grands bienfaits du bon Dieu, l’honneur qu’Il nous fait en choisissant six de nos enfants pour les enrôler dans l’armée des vierges, des privilégiés de son Cœur. Ah! Comment pouvons-nous remercier ce Dieu si bon si libéral! Jamais nous ne pourrons nous acquitter de cette dette de reconnaissance. Nous prions sans cesse pour ta persévérance. Remercions Dieu de ta vocation et demandons-lui la même faveur pour ton petit frère. Il nous faut deux Oblats à tout prix!…

Ah! Cher enfant, qu’il nous tarde de te contempler sous le Saint Habit! Comme ce sera long sans doute?… Nous te remercions beaucoup de ta petite missive, laquelle nous apporta tant de consolations. Tu es vraiment à l’entrée du Paradis avec de si bons R. Pères.

Maintenant nous sommes tout à fait dans l’impossibilité de t’expédier ta valise pour le moment, par la raison que tu serais mis à découvert. Tu comprends, envoyer ta valise au « Canadien Nord » hein?… Il nous faudra la descendre aux Trois-Rivières la nuit… et les semailles ne sont pas encore terminées; et aussi, même, c’est très dangereux de se faire arrêter. De nos braves gens ont été saisis en pleine nuit. Si c’était en d’autres temps tu l’aurai eue immédiatement. Fais encore ce petit sacrifice, dans quelques temps peut-être tu l’auras.

Tu ne saurais croire comme tout le monde est inquiet de toi et d’Anna-Marie qui partit le lundi suivant de ton départ. Tout le monde sont là : où sont-ils? que font-ils? quand reviendront-ils? etc. C’est à ne plus finir! Mais le secret est bien gardé va!… Ma santé est assez bonne, ainsi en est-il de toute notre petite famille. Marie-Ange demeure à la maison pour vaquer aux soins du ménage. Josaphat travaille avec son père. Au revoir donc mon cher enfant, veuille saluer respectueusement tes supérieurs pour nous. Unions de prières et de sacrifices.

Nous t’embrassons bien tendrement,Ta mère Dame E. Bourassa"

On imagine facilement l'influence que pouvait exercer une telle mère sur les vocations religieuses de ses enfants. Six d'entre eux sont entrés en religion : trois soeurs de la Providence, une carmélite, une adoratrice du Précieux-Sang et un frère Oblat de Marie-Immaculée.

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