dimanche 14 avril 2013

Habitant ou soldat ?

Joseph-Elzéar Bellemare, Histoire de Baie-Saint-Antoine dite Baie-du-Febvre 1683-1911 avec annotations de M. B. Sulte, Imprimerie La Patrie, Montréal, 1911.

Benjamin Sulte (1841-1923)
Dans l'Histoire de Baie-du-Febvre publiée en 1911, Benjamin Sulte a annoté le texte écrit par l'abbé J.E. Bellemare, curé de la paroisse. Il en a profité pour faire valoir ses opinions sur les soldats et les coureurs des bois. Sulte, qui avait alors 70 ans, était lui-même un ancien militaire, fils de marin.

On lit parfois que nos ancêtres étaient des soldats du Régiment de Carignan-Salières qui ont épousé des filles du roi. C'est une exagération, une généralisation abusive, à laquelle Benjamin Sulte s'est attaqué, en exagérant lui aussi. Il faut dire qu'il avait l'habitude des jugements lapidaires, mais son commentaire n'est pas dépourvu de fondement :
On a dit que nos ancêtres étaient soldats ou fils de soldats. Il faudrait s'entendre sur le mot "soldat". Nos colons étaient tous cultivateurs. L'incurie du gouvernement français les a obligés à prendre les armes pour se défendre. Avec des soldats, on ne fait pas de cultivateurs, mais avec des cultivateurs, on fait des soldats. Nous ne sommes fils de soldats que parce que nos ancêtres ont été obligés de se battre. Aucun d'eux n'était venu ici les armes à la main, sauf à peu près 400 soldats de Carignan qui, tous, ont formé la classe des coureurs de bois la plus réprouvable, et non pas des habitants. (page 8)
Sulte avait raison de dénoncer l'incurie de la France face à l'insécurité qui régnait dans la colonie pendant les guerres franco-iroquoises, mais son opinion des soldats de Carignan était injuste. Je suppose qu'il avait en tête des exemples de soldats coureurs des bois particulièrement "réprouvables", selon son expression.

Trois classes de coureurs des bois

Sulte persiste, un peu plus loin (page 17), en distinguant trois classes de coureurs des bois :
  1. Les gens de sac et de corde qui avaient de bonnes raisons pour ne pas rentrer dans le Bas-Canada. Le régiment de Carignan parait en avoir fourni le plus grand nombre.
  2. Ceux qui y allaient par pur esprit d'aventure et qui y restaient.
  3. Nos habitants qui faisaient ces campagnes pour le bon motif et finissaient par fonder des familles.
Le mot habitant désignait les colons qui fondaient des familles et prenaient racine au pays, pour les distinguer des aventuriers et des gens qui étaient de passage, les soldats notamment. C'est de là que viennent le surnom du Canadien de Montréal et une marque de soupe en conserve bien connue. Plus tard, avec l'urbanisation, le terme a pris un sens péjoratif.

Nous verrons dans un prochain message comment Benjamin Sulte s'est contredit lui-même en faisant l'éloge du premier colon de Baie-du-Febvre, un soldat de Carignan, coureur des bois à ses heures.

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