mercredi 3 mars 2010

400 victimes sur un vapeur

Une lettre d'un lecteur de Pierreville publiée dans Le Journal des Trois-Rivières en mai 1866. Il s'inquiétait de l'émigration massive de ses compatriotes en Nouvelle-Angleterre. Il considérait ceux qui partaient comme des "victimes" de l'ambition et du désir de faire fortune.
M. le rédacteur,
«Le 25 du courant, il me fut donné de contempler un bien triste spectacle. L’arrivée du vapeur “mouche à feu” qui a coutume de réveiller tous les coeurs de la joie et l’allégresse, me fit cette année, une impression contraire. Mêlé à la foule des curieux accourus au rivage pour saluer son retour, je me préparais déjà à prendre part à la joie commune, lorsque je vis le pont couvert littéralement de jeunes gens; ils étaient au nombre de 400, recrutés dans trois ou quatre paroisses. Sur leurs fronts assombris, dans leurs regards inquiets, il me semblait lire quelque chose de sinistre. En effet, c’était des exilés qui disaient adieu à la patrie, quelques-uns pour toujours, d’autres pour un an ou deux. »
« Où allaient-ils? Gagner quelques piastres aux Etats-Unis. »

« Depuis quelques années, au retour du printemps, des bourgeois de chantiers de briques inondent nos campagnes pour engager nos jeunes Canadiens. Ne pouvant trouver chez eux assez d’hommes pour ces sortes de travaux, (car pour le “Yankee”, les travaux qu’exige la fabrication de la brique sont dignes des esclaves) ils ont recours aux Canadiens.»

«Pendant le premier mois de la saison, grand nombre de jeunes Canadiens s’expatrient dans ce but. Pauvres jeunes gens me dis-je. Quand donc comprendront-ils les avantages que leurs offres le défrichement des terres de nos riches townships? Là, ils pourraient exercer leur courage et leur énergie plus noblement et en travaillant pour eux-mêmes, ils se créeraient un avenir. Tandis qu’aux Etats-Unis ils vont épuiser leur jeunesse et leur santé au service d’un peuple étranger et ce pour quelques “dollars” qu’ils dépensent au fur et à mesure. Alors, ils prennent le parti de revenir ou de passer leur vie à l’école de la démoralisation américaine. »

S’ils reviennent, leur santé, leur âge avancé ne leur permettent plus d’ouvrir de nouvelles terres et ils sont condamnés à végéter toute leur vie dans la pauvreté et la misère. Tous les jours nous en avons des exemples. Mais n’est-il pas plus probable qu’au moins les trois quarts ne reverront plus leurs parents, leurs amis?»

« J’en étais à me faire ces quelques réflexions, et à m’élever en imprécations contre les journaux annexionnistes qui ont tant contribué et qui tous les jours contribuent encore à établir ce courant de l’émigration aux États-Unis, leur paradis terrestre, lorsque le vapeur laissa le port, emportant avec lui ces 400 victimes de l’ambition et du désir de faire fortune ».

Un spectateur
Pierreville, 25 avril 1866

Référence : «Emigration», Le Journal des Trois-Rivières (4 mai 1866): 3, col. 3-4.

Source : Bases de données en histoire régionale de la Mauricie du Centre interuniversitaire d'études québécoises.

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