dimanche 25 mars 2012

Une saison dans la vie d'Emmanuel


La littérature canadienne-française, c'est-à-dire la littérature québécoise d'avant 1960, présentait  un portrait idyllique des familles nombreuses. On trouve un bon exemple de cette vision positive de la famille rurale dans le roman La campagne canadienne d'Adélard Dugré. Les Barré de Pointe-du-Lac vivent dans une grande maison sur une ferme prospère. Leurs nombreux enfants sont heureux, bien élevés et bien nourris. Les parents, aidés par les grands-parents, les aiment et pourvoient à tous leurs besoins. Le temps des Fêtes dure plusieurs jours et la maison est pleine d'invités.

La réalité était parfois moins rose. Je me suis déjà demandé en voyant une ancienne maison de colon - il en reste encore quelques-unes dans certaines régions de colonisation récente - comment des familles de dix ou douze enfants pouvaient vivre dans un espace aussi restreint. Ces vieilles maisons de bois construites à  la fin du XIXe siècle ont environ quinze à vingt pieds de façade avec un demi-étage qui servait au coucher. On peut imaginer la promiscuité et les problèmes d'hygiène, particulièrement en hiver.

Dans son roman Une saison dans la vie d'Emmanuel, prix Médicis en 1966, Marie-Claire Blais porte un regard très sombre sur la famille rurale. Les parents sont complètement dépassés par leurs tâches et c'est la grand-mère qui prend toutes les décisions. Les seize enfants ne reçoivent que très peu d'attention et encore moins d'affection. Ils sont sales et s'entassent à quatre ou cinq dans le même lit.

La grand-mère Antoinette dit à Emmanuel, le nouveau-né : « C'est un bien mauvais temps pour naître, nous n'avons jamais été aussi pauvres, une saison dure pour tout le monde, la guerre, la faim, et puis tu es le seizième ... »  Un peu plus loin : « Les nouveaux-nés sont sales. Ils me dégoûtent. Mais tu vois, je suis bonne pour toi, je te lave, je te soigne, et tu seras le premier à te réjouir de ma mort. »

Mais ça demeure un très bon roman que j'ai aimé relire.

Voir aussi sur ce blog : La campagne canadienne et la Loi des douze enfants.

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