La fête de Pâques a inspiré les poètes, sans doute parce qu'elle marque le retour du printemps. Après le Pâques selon Choquette, voici celui d'Émile Verhaeren (1855-1916), un poète flammand de langue française. Il est tiré du recueil Les blés mouvants publié en 1912.
Verhaeren s'adresse ici à Frère Jacques, le sonneur des matines de la chanson enfantine, qui devient pour la circonstance le «rude et vaillant carillonneur de Pâques». Après avoir dormi tout l'hiver, Frère Jacques, qui symbolise la nature, se réveille à Pâques pour sonner l'arrivée du printemps : «Il a neigé durant des mois et sur tes mains, et sur tes doigts, pleins de gerçures».
Contrairement à Choquette, Verhaeren ignore complètement la dimension religieuse de la Fête. Sinon, le traitement du sujet est un peu le même : le retour des cloches marque le début du printemps qui est mis en contraste avec l'hiver. Mais le poème de Verhaeren est nettement plus original et plus inspiré que celui de Choquette.
Contrairement à Choquette, Verhaeren ignore complètement la dimension religieuse de la Fête. Sinon, le traitement du sujet est un peu le même : le retour des cloches marque le début du printemps qui est mis en contraste avec l'hiver. Mais le poème de Verhaeren est nettement plus original et plus inspiré que celui de Choquette.
On comprend qu'en Belgique le temps à Pâques est plus doux et le printemps plus hâtif que chez nous. Les «fins taillis déjà verts» et «l'insecte qui reluit de broussaille en broussaille» ne seront de retour au Québec qu'en mai. Pourtant déjà «les sèves sous terre immensément tressaillent».
A Pâques
Frère Jacques, frère Jacques,
Réveille-toi de ton sommeil d'hiver
Les fins taillis sont déjà verts
Et nous voici au temps de Pâques,
Frère Jacques.
Au coin du bois morne et blêmi
Où ton grand corps s'est endormi
Depuis l'automne,
L'aveugle et vacillant brouillard,
Sur les grand-routes du hasard,
S'est promené, longtemps, par les champs monotones ;
Et les chênes aux rameaux noirs
Tordus de vent farouche
Ont laissé choir,
De soir en soir,
Leur feuillage d'or mort sur les bords de ta couche.
Frère Jacques,
Il a neigé durant des mois
Et sur tes mains, et sur tes doigts
Pleins de gerçures ;
Il a neigé, il a givré,
Sur ton chef pâle et tonsuré
Et dans les plis décolorés
De ta robe de bure.
La torpide saison est comme entrée en toi
Avec son deuil et son effroi,
Et sa bise sournoise et son gel volontaire ;
Et telle est la lourdeur de ton vieux front lassé
Et l'immobilité de tes deux bras croisés,
Qu'on les dirait d'un mort qui repose sous terre.
Frère Jacques,
Hier au matin, malgré le froid,
Deux jonquilles, trois anémones
Ont soulevé leurs pétales roses ou jaunes
Vers toi,
Et la mésange à tête blanche,
Fragile et preste, a sautillé
Sur la branche de cornouiller
Qui vers ton large lit de feuillages mouillés
Se penche.
Et tu dors, et tu dors toujours,
Au coin du bois profond et sourd,
Bien que s'en viennent les abeilles
Bourdonner jusqu'au soir à tes closes oreilles
Et que l'on voie en tourbillons
Rôder sur ta barbe rigide
Un couple clair et rapide
De papillons.
Pourtant, voici qu'à travers ton somme
Tu as surpris, dès l'aube, s'en aller
Le cortège bariolé
Des cent cloches qui vont à Rome ;
Et, leurs clochers restant
Muets et hésitants
Durant ces trois longs jours et d'angoisse et d'absence,
Tu t'éveilles en écoutant
Régner de l'un à l'autre bout des champs
Le silence.
Et secouant alors
De ton pesant manteau que les ronces festonnent
Les glaçons de l'hiver et les brumes d'automne,
Frère Jacques, tu sonnes
D'un bras si rude et fort
Que tout se hâte aux prés et s'enfièvre aux collines
A l'appel clair de tes matines.
Et du bout d'un verger le coucou te répond ;
Et l'insecte reluit de broussaille en broussaille ;
Et les sèves sous terre immensément tressaillent ;
Et les frondaisons d'or se propagent et font
Que leur ombre s'incline aux vieux murs des chaumières ;
Et le travail surgit innombrable et puissant ;
Et le vent semble fait de mouvante lumière
Pour frôler le bouton d'une rose trémière
Et le front hérissé d'un pâle épi naissant.
Frère Jacques, frère Jacques
Combien la vie entière à confiance en toi ;
Et comme l'oiseau chante au faîte de mon toit ;
Frère Jacques, frère Jacques,
Rude et vaillant carillonneur de Pâques.
Rude et vaillant carillonneur de Pâques.
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