mardi 27 septembre 2011

Le roi de la Mauricie

Albert Tessier, Jean Crête et la Mauricie, Collection "L'histoire régionale" no 20, Éditions du Bien Public, Trois-Rivières, 1956.

Ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'industrie forestière dans la région connaissent le nom de Jean J. Crête (1888-1967), surnommé le roi de la Mauricie. Dans les années 1940-1950, c'était sans doute l'homme le plus connu de la région après Maurice Duplessis. Mais Crête était un libéral, un rouge, alors que Duplessis était bleu comme le ciel.

L'auteur, Albert Tessier était un vieil ami de Crête qui a grandement facilité ses déplacements en Haute-Mauricie. Tessier a publié cette biographie élogieuse en 1956, alors que le roi était encore en affaires. L'éloge est sans doute mérité. En effet, tous les témoignages concordent pour reconnaître à Jean Crête de grandes qualités : sa générosité, sa gentillesse et son génie de l'organisation, notamment. Il était loyal envers ses amis et n'avait qu'une parole. Mais on devine qu'il pouvait aussi être dur et intransigeant, quand les choses n'allaient pas comme il le voulait.

Le magasin général

Jean J. Crête n'est pas parti de rien. Son père Adolphe exploitait un magasin général aux Grandes-Piles qui était alors la porte d'entrée des chantiers de la Haute-Mauricie. C'était le dernier village au bout de la ligne de chemin de fer des Piles achevée en 1880. À partir de là, le transport des hommes, des chevaux et des marchandises devait se faire par bateau sur le Saint-Maurice, dans des conditions de navigation parfois difficiles.

À l'âge de dix-huit ans,  après des études commerciales en Ontario, Jean Crête a pris la direction du magasin de son père décédé en 1904. Ce magasin était attenant à sa résidence où se trouvaient aussi son bureau. C'était le début de sa carrière en affaires. Deux occasions se sont ensuite présentées qui lui on permis de construire sa fortune : l'organisation du transport fluvial sur le Saint-Maurice et l'exploitation d'un vaste territoire forestier au nord de Mont-Laurier.

Le transport sur le Saint-Maurice

Sa première grande réussite a été de s'accaparer le monopole du transport des marchandises sur le Saint-Maurice. Il a trouvé des solutions pratiques aux difficultés de navigation, notamment par l'emploi d'embarcations à plus faible tirant d'eau. Les compagnies forestières, trop heureuses de se débarrasser d'un problème, lui ont confié la responsabilité de l'approvisionnement de leurs chantiers. Grâce à ce monopole, Crête se trouvait en position de force pour vendre aux compagnies les marchandises de son magasin des Grandes Piles. Il avait ainsi réalisé un début d'intégration verticale qu'il allait ensuite compléter en effectuant lui-même la coupe du bois.

La coupe du bois

Son magasin général et sa flotte de bateaux lui laissaient du temps libre durant l'hiver et les entreprises de coupe et de flottage l'attiraient. Vers 1922, il a commencé à se faire la main dans l'exploitation forestière en soumissionnant pour de petits contrats. Mais son premier grand contrat, qui allait lui permettre d'établir sa réputation d'entrepreneur forestier, a été celui de la Compagnie MacLaren au nord de Mont-Laurier. L'affaire était particulièrement risquée à cause de l'éloignement de la concession, de l'absence d'infrastructures et du volume minimal prévu de 1,5 million de billots. En deux semaines, Crête a réussi à rentabiliser l'opération en accordant des sous-contrats pour un total record de 11 millions de billots.

Au sommet de ses activités, Crête donnait du travail à plus de 6 000 hommes.  Il a choisi ses plus proches collaborateurs parmi les membres de sa famille : son fils Jean-Paul, son cousin Albert Crête et son gendre Arthur Rouleau.

Il est décédé en novembre 1967, à l'âge de 79 ans, des suites des blessures que lui ont infligé des cambrioleurs qui s'étaient introduits dans son manoir des Grandes Piles.

La photo qui suit a été prise en 1955, alors qu'il était âgé de 67 ans. Remarquez la pose : le sourire engageant, la cigarette dans la main gauche et la main droite dans la poche de son pantalon. On pense évidemment à René Lévêque, mais j'ai une photo de mon grand-père Joseph-Félix Saintonge (1888-1967),  un contemporain de Jean Crête qui exploitait aussi un magasin général, et qui prenait exactement la même pose. C'était, je crois, la posture typique d'un homme entreprenant des années cinquante.


L'exemplaire du livre de Tessier que j'ai en main a été dédicacé par Jean J Crête : « M Mme Charles Dumont en souvenir de notre beau voyage en Europe ».

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