lundi 5 janvier 2015

Les gardiens de la variole

Une épidémie de variole, aussi appelée grosse picote, a frappé Saint-Étienne-des-Grès en Mauricie en 1902. Ces épidémies survenaient presque toujours durant l'hiver quand l'air frais et sec favorisait la propagation du virus. À cette époque, le village de Saint-Étienne était isolé durant une partie de la saison froide parce que le déneigement de la route qui menait à Trois-Rivières représentait une trop grande dépense pour la municipalité. Il n'y avait donc pas de secours à attendre de l'extérieur. Par ailleurs, une recrudescence de la variole a aussi été signalée dans la ville de Trois-Rivières cet hiver-là.

Il fallait isoler les malades pour arrêter la contagion. Le conseil municipal de Saint-Étienne a donc demandé à des citoyens de prêter leur maison pour loger les malades pendant la durée de l'épidémie. Wilfrid Marchand, Louis Garceau et Trefflé Bouchard père ont accepté de le faire contre rémunération. On les appelait les « gardiens de la variole».

Des reçus ont été émis pour les dépenses relatives à l'épidémie en septembre 1902. Voici un reçu signé par Wilfrid Marchand pour un montant de 10 dollars reçu « pour avoir été gardien pendant que la variol a sévie dans la paroisse de St-Étienne. » C'était une somme relativement importante, à peu près l'équivalent de 2000 dollars en monnaie d'aujourd'hui.


Les deux autres gardiens ont reçu 12 et 15 dollars pour le même travail.

Certains ont pu profiter de l'épidémie pour s'enrichir. On utilisait alors de la vapeur de souffre pour désinfecter la literie et les vêtements des malades. Le conseil municipal a effectué deux achats de souffre qui ont été payés le 22 septembre :
  • Joseph Hould en a vendu 76 livres pour 3 dollars et 93 cents, soit au prix unitaire de 5 cents la livre.
  • Onésime Bellemare en a vendu 10 livres pour 5 dollars, soit au prix unitaire de 50 cents la livre. La municipalité a donc payé 10 fois plus cher pour le souffre de Bellemare ! Il est possible qu'il y ait eu une pénurie de souffre due à l'épidémie, ce qui expliquerait l'écart de prix entre les deux achats.



Jean Milette, le secrétaire-trésorier de la municipalité, s'est versé à lui-même 46 dollars « pour salaire pendant que la picotte a sévi dans la paroisse. » C'était trois ou quatre fois plus que la rémunération reçue par les gardiens de la variole.

J'ai examiné le registre de Saint-Étienne-des-Grès pour y trouver le signalement de décès causés par la variole. Malheureusement, le curé Garceau ne mentionnait jamais les causes des décès. Je n'ai pas constaté d'augmentation significative du nombre des sépultures pendant l'année 1902. Il semble donc que les mesures qui ont été prises pour circonscrire l'épidémie aient été efficaces.

Les photographies des reçus sont tirées de Souvenances : Histoire du fief et de la paroisse de St-Étienne-des-Grès depuis 1673. Presse de Publicité Paquet, 1984.

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