On trouve dans l'Album souvenir de Saint-Narcisse de Champlain, publié en 1954, un texte qui en dit beaucoup sur l'économie de l'industrie du bois de sciage en Mauricie à la fin du XIXe siècle. On utilisait alors la force motrice des cours d'eau pour transformer le pin blanc et l'épinette en planches et madriers.
Des moulins comme celui qui est décrit dans l'extrait qui suit, il y en avait des dizaines sur le Saint-Maurice et ses affluents, de même que sur les autres rivières de la région dont la Batiscan. Les meilleurs emplacements étaient occupés par les grandes compagnies canadiennes anglaises comme celle des Price. Voici donc le texte sur le moulin Murphy de Saint-Narcisse :
« Il y avait un nommé Thibeaut qui, vers 1860, possédait un moulin à scie à l’emplacement actuel du barrage. Il y avait là de beaux gros pins qui faisaient la joie des bûcheux. Tout le long de la rivière Batiscan, il y avait de ces réserves de pins et d’épinettes. C’est pourquoi une riche compagnie (les Price) décida d’acheter le moulin à n’importe quel prix. Thibeaut lui vendit donc.
Cette compagnie crut mieux faire en transportant ce moulin au pied des chutes qu’on appelle aujourd’hui Murphy, du nom de l’agent de cette compagnie. C’est un nommé Summertown, un vieux garçon malcommode, qui fut le premier représentant de la compagnie. C’est lui qui déménagea le moulin. Il fut presque de suite remplacé par Murphy, un bon catholique père de trois ou quatre enfants.
Le moulin que l’on construisit aux chutes Murphy devait avoir un cent pieds de long. A côté, on fit une cabane où l’on faisait l’électricité. Puis entre le moulin et les chutes, la compagnie construisit un magnifique pont pour permettre aux gens d’aller à Ste-Geneviève. Du côté de St-Narcisse, une dizaine de familles vinrent se construire. Murphy tenait magasin général. On allait à la messe à St-Stanislas.
Une trentaine d’hommes travaillaient au moulin. Ça travaillait sur les quarts, car le moulin marchait jour et nuit. Il y avait en haut de la chute des “baumes” qui fermaient la rivière et empêchaient les billots de passer. Des dalles amenaient les billots au moulin, où ils étaient sciés. Il y avait deux sortes de scie: les scies rondes comme aujourd’hui et les “échasses”: c’était une sorte de grosse sciotte à trois lames montée sur un carrosse. Elle faisait des ripes d’un pouce. Les dents avaient la pointe en bas. On faisait seulement du madrier de quatre pouces. Ces madriers tombaient dans une grosse boîte qui communiquait avec une dalle. Dans la boîte, il y avait deux rouleaux qui poussaient les madriers dans la dalle. Cette dalle allait aboutir sur le haut de la côte de Ste-Geneviève. Là, la compagnie avait fait un chemin ponté avec des gros madriers qui conduisait aux Forges Ste-Geneviève où des charretiers allaient mener les madriers. Aux Forges, il y avait des barques de la compagnie qui transportaient le bois à Montréal.
Seul le bois de première qualité partait pour les Forges. La seconde qualité était empilée du côté de St-Narcisse et vendue aux habitants. Au début, la compagnie donnait les croûtes à qui voulait. Mais il est arrivé que des habitants ont pris du bon bois en cachette avec les croûtes; à partir de ce moment-là, la compagnie engagea un homme pour brûler les croûtes jour et nuit: ce qui fit bien chialer les gens.
L’hiver on faisait la coupe. Les salaires n’étaient pas élevés: un bon homme se faisait six à sept piastres par mois. Les billots ne devaient pas avoir moins de huit pouces et plus de quatre ou cinq noeuds.
Ce moulin marchait bien, mais il coûtait bien cher à la compagnie. Quand Murphy mourut, le nouvel agent de la compagnie décida de déménager le moulin à l’embouchure de la Batiscan, sur le fleuve. Il en coûtait moins cher de “draver” les billots que de les charroyer. C’est ainsi que disparut le moulin des chutes Murphy. »
La chute Murphy de Saint-Narcisse de Champlain |
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