dimanche 6 décembre 2015

Le missionnaire bénissait des fosses


Les postes du Domaine du roi


En 1785, quelques mois seulement après son ordination comme prêtre, le Montréalais Laurent Aubry (1756-1839) a été nommé missionnaire des postes du Domaine du roi. 

La mission des postes du Domaine du roi couvrait un immense territoire s'étendant, d'ouest en est, de Tadoussac, à l'embouchure de la rivière Saguenay, jusqu'à une limite orientale qui pouvait varier, selon les cartes, entre Sept-Îles et l'archipel des Îles Mingan. Au nord-ouest, le Domaine touchait le rivage de la Baie d'Hudson.

Sources : Atlas électronique du Saguenay-Lac-Saint-Jean

Tadoussac, Chicoutimi, Sept-Îles, les Ilets-de-Jérémie étaient des lieux de rencontre avec les nomades montagnais pour la traite des fourrures. Chacun de ces postes comprenait une maison pour le commis, qui servait aussi de magasin et d'entrepôt, de même qu'une chapelle à l'usage du missionnaire.

Le prêtre commençait sa tournée au printemps et en revenait à la fin du mois d'octobre, après avoir parcouru des centaines de kilomètres, à pied ou en canot d'écorce, sous les intempéries et parmi les moustiques. Il fallait un homme jeune et robuste pour accomplir cette mission. 

La mission de l'abbé Aubry


Laurent Aubry n'a oeuvré dans le Domaine du roi qu'une seule saison en 1785. Son registre s'ouvre le 5 mai 1785 et le dernier acte qu'il a signé est daté 8 octobre de cette même année.

Il avait développé un système original pour identifier le poste où se situait chaque acte du registre. Aubry écrivait en très grandes lettres dans la marge : 
  • TA pour Tadoussac, la porte d'entrée du Domaine ;
  • IG pour les Islets-de-Gérémie (Jérémie) ;
  • SI pour Sept-Îles ;
  • CHE pour Chekoutimi (Chicoutimi).

Le missionnaire ne pouvait visiter qu'une partie du Domaine. Souvent, les Amérindiens qu'il rencontrait n'avaient pas vu de prêtre depuis des années. Il y avait donc un rattrapage à faire pour bénir leurs naissances, leurs unions et leurs sépultures qui étaient déjà anciennes.

Aubry a célébré quelques baptêmes à son arrivée à Tadoussac (TA) avant de se rendre aux Islets-de-Jérémie (IG).

La bénédiction des fosses


Le quatorze mai 1785, Aubry a officié une cérémonie inhabituelle qu'il a intitulée : bénédiction de la fausse (sic) de la fille de Joseph Cheucabanau. L'enfant « décédée  il y a un an âgée de trois jours. »

Extrait du registre des Postes-du-Roi

L'enfant de Joseph Cheucabanau avait donc été enterrée l'année précédente en l'absence d'un prêtre et dans une terre non consacrée. Or, le missionnaire n'avait pas le pouvoir de consacrer cette terre pour en faire un cimetière catholique. Il contournait la difficulté en bénissant chacune des fosses qui s'y trouvaient.

Le 10 juin suivant, au poste de Chicoutimi (CHE), l'abbé Aubry a béni huit autres fosses dont les plus anciennes dataient de huit ans. Il devait donc s'en remettre aux témoignages des Montagnais présents pour connaître l'emplacement de ces fosses, la date des décès et l'identité des défunts.

Aubry a été remplacé par un autre jeune Montréalais Jean-Joseph Roy (1759-1824) qui est demeuré en poste pendant dix ans.

2 commentaires:

Unknown a dit…

Très intéressant.

Gilles Cayouette a dit…

La consultation des registres catholiques permet de localiser plusieurs actes de sépulture analogues relatifs à la bénédiction de fosses. Ils concernent presque tous des inhumations faites dans des cimetières en l'absence d'un prêtre.

Dans ce contexte, cette pratique s'inscrit davantage dans le grand respect par l'église catholique du corps d'un chrétien. Le Rituel de Québec en fait état à la page 286 dans ces termes : «...elle regarde leurs corps comme unis à celui de J.C. son Epoux, en qualité de ses membres, qui doivent un jour participer à sa Résurrection & à sa gloire». La bénédiction d'une fosse pourrait alors être interprétée comme une façon de suppléer à la cérémonie et aux prières qui sont habituellement faites lors de l'inhumation du corps.