vendredi 28 mars 2014

Le Bécancour

En 1858, un vapeur nommé Bécancour effectue la traverse entre le port de Trois-Rivières et la rive Sud du Saint-Laurent. Des horaires spéciaux sont prévus pour accommoder les cultivateurs de la rive Sud qui se rendent en ville vendre leurs produits, de même que pour ceux qui veulent assister à la Grande Messe ou aux Vêpres à Trois-Rivières. 

Cette annonce, parue dans L'Ère Nouvelle du 26 avril 1858, précise les horaires de traversée pour la nouvelle saison qui s'ouvre après le retrait des glaces : 
« Le vapeur Bécancour fera ses traverses régulières tous les jours entre le sud et les Trois-Rivières, comme suit : de 9 heures du matin aller à 4 heures de l’après-midi, il fera une traverse, toutes les heures, C’est-à-dire huit traverses, quittant le sud à 9 heures. Avant 9 heures du matin, il fera 4 traverses, pour la commodité des cultivateurs et autres personnes. Après 4 heures de l’après-midi, il fera autant de voyages que nécessaires. Les dimanches : avant la Grande Messe il fera une traverse pour les commodités du public en général. Les cultivateurs auront leurs heures accoutumées pour la Grande Messe et les Vêpres. Après les Vêpres, il fera ses traverses comme à l’ordinaire. Hilaire Doucet, capitaine, Trois-Rivières, 24 avril 1858. »  (L'Ère Nouvelle, 26 avril 1858)



L'annonce est tirée des Banques de données en histoire de la Mauricie.

dimanche 23 mars 2014

Sépulture d'un vétéran de la bataille de Québec

Selon l'officiant qui a rédigé son acte de sépulture, le 23 janvier 1822, John Ross de Maskinongé a participé à la bataille de Québec. Il faisait probablement référence à la bataille des Plaines d'Abraham qui s'est déroulée à Québec le 13 septembre 1759. Le cas échéant, Ross avait donc près de 90 ans au moment de son décès.

J'ai trouvé cet acte dans le registre de la Protestant Episcopal Congregation of Saint Antoine of the River du Loup (aujourd'hui Louiseville). Le défunt John Ross était un fermier né en Grande-Bretagne, habitant de la paroisse de Maskinongé depuis quarante ans, et autrefois sergent major du 78th régiment à la bataille de Québec.




Le 78th Fraser Highlanders, un régiment formé de soldats provenant des Highlands en Écosse, a participé à la prise de Louisbourg en 1758 et à celle de Québec en 1759. Ce régiment a été dissous en 1763 et plusieurs soldats sont demeurés dans la vallée du Saint-Laurent, se mêlant à la population locale. C'est d'ailleurs le seul régiment britannique à avoir été dissous en dehors de la Grande-Bretagne, parce que les Anglais craignaient que des Écossais entraînés au maniement des armes reviennent dans leur pays. Ils leur ont donc offert des terres dans leur nouvelle colonie du Canada, notamment à Maskinongé où quelques-uns d'entre eux se sont établis.

Reconstitution du 78th Hignlanders au Musée McCord à Montréal

John (William) Ross, qui se faisait parfois appeler Jean-Baptiste Ross, est l'ancêtre des Ross de la Mauricie. Il a épousé Marie-Louise Délpé-Sincerny le 7 juillet 1764 à Québec. Marie-Louise avait un huitième de sang algonquin par son arrière-grand-mère maternelle Marie Miteouamigoukoué, épouse de Pierre Couc. Ils ont eu au moins dix enfants à Maskinongé entre 1766 et 1795. Tous leurs enfants ont reçu des prénoms français et des baptêmes catholiques.

On trouve deux erreurs dans l'acte de sépulture présenté plus haut. Premièrement, John Ross était habitant de Maskinongé depuis près de 57 ans et non pas 40. Deuxièmement, selon les sources que j'ai consultées, il avait le grade de caporal dans le 78th Highlander et non celui de sergent major.

William Ross et James Ross qui ont marqué d'une croix l'acte de sépulture étaient les fils du défunt : Guillaume Ross né en 1768 et marié à Théotiste Dupuis, et Jacques Ross né vers 1774 et marié à Geneviève Grégoire.

Portages et routes d'eau en Mauricie

Harry Bernard, Portages et routes d'eau en Haute-Mauricie, Collection "L'Histoire Régionale" no 12 ou 13, Éditions du Bien Public, Les Trois-Rivières, 1953, 237 pages.

Portage et routes d'eau est un recueil de textes écrits par le journaliste, romancier et naturaliste Harry Bernard (1897-1979). Ces vignettes, qui datent de différentes époques et avaient déjà été publiés dans des revues, ont été rassemblées à la demande d'Albert Tessier qui dirigeait la collection L'Histoire Régionale aux Éditions du Bien Public.

La préface du livre commence ainsi : « Il y a en l'homme d'aujourd'hui un primitif qui sommeille. Il lui faut avoir été séparé de la nature pour qu'il l'apprécie


1. Un livre d'occasion un peu défraîchi ...

Je dois dire que ce livre fut d'abord une déception pour moi. J'avais cru, d'après le titre, qu'il traitait des anciennes routes d'eau empruntées par les Amérindiens et les coureurs des bois en Haute-Mauricie. Or, il s'agit plutôt de récits d'excursions effectuées par l'auteur dans la région à la fin des années 1940. Mais ces récits ne manquent pas d'intérêt.

Le travail en forêt

Harry Bernard ne précise pas l'époque de son expérience du travail en forêt, mais certains indices permettent de la situer avant la deuxième guerre mondiale. Dans son texte, on bûche du sapin et de l'épinette que l'on découpe en pitounes (billots de quatre pieds) pour ensuite les acheminer par voie d'eau jusqu'aux usines de pâte et papier de Shawinigan et de Trois-Rivières. Il y a des camions et des automobiles dans les chantiers, mais le cheval est encore utilisé pour sortir les troncs d'arbre de la forêt. Le principal outil du bûcheron est la sciotte  :
« L'outil par excellence est une scie légère, le bucksaw des Anglais, qu'un homme manie d'un bras. Elle affecte la forme d'un arc grossier, dont le manche serait la poignée et la lame, la corde. Les Canadiens-français ont trouvé un nom à cette scie nouvelle. C'est la sciote, et le substantif forme le verbe scioter. Les hommes sciotent du matin au soir à travers le bois. Chaque arbre se coupe à douze pouces du sol. À la hache, le bûcheron entaille le tronc, du côté où il tombera, et la sciote achève la besogne meurtrière. »
Le début de la mécanisation du travail en forêt date des années 1940-1950, ce qui situerait l'expérience de Bernard dans les années 1930 ou au début des années 1940.

Il est intéressant de faire un parallèle avec l'ouvrage de Pierre Dupin intitulé Anciens chantiers du Saint-Maurice et publié dans la même collection L'Histoire régionale (voir La diète des bûcherons et Les portageux sur ce blog). Dupin racontait la vie de chantier vers 1875. Les méthodes de travail et les conditions de vie étaient alors très différentes :
  • Vers 1875, le principal outil du bûcheron était la hache de cognée. Le godendard, une grande scie maniée par deux hommes, servait ensuite à découper le tronc en billots de douze pieds. L'essence recherchée était le pin blanc pour la construction navale.
  • Aussi, on constate que les conditions de vie des bûcherons décrites par Bernard - le logement, l'hygiène et la nourriture - étaient devenues bien meilleures que celles observées quelque soixante ans plus tôt.
En ce qui concerne l'origine sociale et géographique des bûcherons, Bernard mentionne qu'il en vient de partout, mais que les meilleurs sont les cultivateurs et leurs fils qui, « leurs travaux d'automne terminés, montent dans le bois pour gagner l'argent qui permettra de boucler le budget familial. »

 2. Qui se vendait deux dollars en 1953 ... 

Être naturaliste en 1950

L'auteur a effectué plusieurs expéditions en canot d'aluminium sur les routes d'eau de la Haute-Mauricie entre 1948 et 1950 . Lors d'un de ces voyages, le naturaliste déplore la destruction de la faune autour du village amérindien de Weymontachingue : « Ils ont tout détruit, tout tué. Tout se mange et tout se vend et ils n'ont rien épargné. Il n'y a nulle part une piste d'ours, ni une frayure d'orignal, ni une rongure de castor. On ne voit pas une trace de vison, ni de loutre, ni une crotte de rat musqué. »

Le soir, pour se protéger des maringouins et autres moustiques, Bernard et ses compagnons aspergent les parois de leur tente de DDT, un insecticide qui sera plus tard reconnu cancérigène et retiré du commerce : « Nous n'avions pas pris la précaution, ce soir-là, de parfumer au DDT l'entrée et les parois de notre logis, trop rendus à bout que nous étions, ne sachant d'ailleurs à quel endroit précis reposait le vaporisateur. »

Jamais personne ne vit autant de guêpes qu'à l'été 1950 dans les hauts mauriciens : « Vu la rareté de la nourriture normale, amenée par leur multitude ou d'autres raisons, les guêpes étaient carnassières à l'égal des oiseaux rapaces ou des grands fauves. Elles se gorgeaient de sang, de viande, de poisson, selon le cas. C'était un problème que d'apprêter un poisson pour le dîner. On n'avait pas le temps de lever la moitié d'un filet que des douzaines d'insectes se précipitaient sur la chair mise à nu. Elles en détachaient une parcelle et s'envolaient, la tenant entre leurs mandibules

Harry Bernard et ses compagnons avaient la gâchette facile pour des naturalistes. Ils tenaient les ours responsables du déclin de la population d'orignal et les abattaient à vue : « Comme il arrivait au terme de son trajet, il aperçut soudain devant lui, à cinquante pieds, un ours qui furetait ça et là, cherchant à manger et qui ne l'avaient ni vu ni entendu, le vent soufflant dans la direction de l'homme. Pierre ne réfléchit pas longtemps. Il se libéra de son fardeau, mis l'animal en joue et lui logea une balle en plein crâne. »

Comment se débarrasser d'une souris importune : « Une autre, découverte dans une armoire, fut tuée d'une balle qui mit fin à ses déprédations. Caractéristique de l'espèce, elle avait le ventre blanc-crème, des yeux trop grands et de larges oreilles. »

La pêche sportive quand on est pressé : « L'appât toucha l'eau deux fois sans résultats. À la troisième, un brochet se ferra, qui déroula cent-cinquante pieds de corde dans le temps d'un clin d'oeil. Il se fit prier d'abord, pour accepter de nager en direction du canot ... Puis Campeau l'approcha et Scott lui coupa l'enthousiasme batailleur de deux balles de 22. »

Comment faire du feu quand il pleut : « Nous cherchons de vieilles racines, diamètre d'un pouce ou deux, que la pluie ne pénètre qu'en surface. On enlève la partie mouillée et le bois est prêt. C'est là un truc d'Indien. »

3. Un cadeau de Pauline "votre petit rayon de soleil".


mercredi 19 mars 2014

Un sauvage a mangé le doigt d'un Canadien

Un entrefilet paru dans le journal Le Trifluvien de Trois-Rivières le 10 décembre 1892 :
« Dans une bagarre aux Piles, ces jours derniers un sauvage a mangé le doigt de son antagoniste, un Canadien. Ce dernier est arrivé ici hier pour faire arrêter le sauvage. »
Saint-Jacques des Piles ou Grandes Piles, est situé en amont de Grand-Mère sur la rivière Saint-Maurice. Au dix-neuvième siècle, c'était le lieu de rassemblement des bûcherons qui montaient dans les chantiers pour l'hiver. La route n'allait pas plus loin. 

L'article est tiré des Bases de données en histoire de la Mauricie.

mardi 18 mars 2014

Joseph Hill était sergent d'artillerie

La recherche sur les origines de la famille Hill de Trois-Rivières a beaucoup progressé dernièrement. Madeleine Gélinas Racicot m'a fait part d'un acte de baptême qu'elle a trouvé dans le registre de la Quebec Anglican Garnison de Québec. Il s'agit du baptême de Joseph Hill, fils de Joseph et de Ann, le 7 octobre 1831. Le père était sergent dans la septième compagnie du premier bataillon d'artillerie. Suivant la mauvaise habitude prise par les membres du clergé anglican, le patronyme de la mère n'est pas mentionné.

Baptême anglican de Joseph (fils) Hill en 1831 à Québec

Cet acte pouvait être relié à la famille Hill de Trois-Rivières, mais il fallait le prouver. Je viens de trouver cette preuve :  le baptême anglican de Sarah Hill à Trois-Rivières le 16 avril 1837 « daughter of Joseph Hill late sergeant artillery and Ann his wife was born june the fourteenth eighteen hundred and thirty five ».

Baptême anglican de Sarah Hill à Trois-Rivières en 1837

Curieusement, Sarah avait près de deux ans le jour de son baptême. Peut-être est-elle née lors d'un déplacement du régiment de son père. Par ailleurs, cet acte nous apprend que Joseph Hill avait quitté l'armée à la date du baptême (late sergeant). Il a ensuite travaillé comme journalier à Trois-Rivières.

J'ai dressé un tableau chronologique des principales informations que j'ai recueillies sur cette famille au  fil du temps. Les déménagements révélés par les lieux de naissance des enfants sont compatibles avec les déplacements d'un régiment britannique : Angleterre, Nouveau-Brunswick, Angleterre, Écosse, Québec et enfin Trois-Rivières. On pourra situer plus précisément la date de leur arrivée au Canada en suivant les déplacements du premier bataillon d'artillerie. D'après le tableau qui suit, ils seraient arrivés à Québec vers 1831 en provenance d'Écosse.

An Mois Jour Événement Lieu Source






1802 - - Naissance de Mary-Ann Charleton Angleterre Rec. 1852 Trois-Rivières
1823 - - Naissance de Mary-Ann (fille) N-Brunswick Rec. 1852 Trois-Rivières
1829 - - Naissance de James Angleterre Rec. 1861 Trois-Rivières
1831 - - Naissance de John Écosse Rec. 1852 Trois-Rivières
1831 9 7 Naissance de Joseph (fils) Québec Anglican Garnison Québec
1831 10 2 Baptême anglican de Joseph (fils) Québec Anglican Garnison Québec
1835 6 14 Naissance de Sarah Lieu inconnu Anglican T-Riv 1837-04-16
1837 4 16 Baptême anglican de Sarah Trois-Rivières Anglican
1847 6 23 Conversion de Mary-Ann (fille) Trois-Rivières Catholique
1849 5 5 Conversion de Joseph (fils) Trois-Rivières Catholique
1851 10 6 Mariage de John Trois-Rivières Anglican
1851 11 24 Mariage de Joseph (fils) Trois-Rivières Catholique
1852 - - Sarah servante Trois-Rivières Recensement 1852
1852 - - Mary-Ann (mère) servante Trois-Rivières Recensement 1852
1852 - - John journalier Trois-Rivières Recensement 1852
1856 9 8 Mariage de Mary-Ann (fille) Trois-Rivières Catholique
1856 8 12 Mariage de James St-Sévère Catholique
1861 6 1 Conversion de Sarah Trois-Rivières Catholique
1861 - - Sarah servante Trois-Rivières Recensement 1861
1861 - - James cultivateur St-Boniface Recensement 1861
1861 - - John journalier Trois-Rivières Recensement 1861
1864 6 18 Sépulture de Joseph (fils) Trois-Rivières Catholique
1871

James cultivateur Saint-Mathieu Recensement 1871
1871

John journalier Trois-Rivières Recensement 1871
1874 10 17 Sépulture de James St-Boniface Catholique
1891

John commerçant ferblantier Trois-Rivières Recensement 1891
1905 4 15 Sépulture de Mary-Ann (fille) Trois-Rivières Catholique


Ajoutons à cette chronologie que le sergent Joseph Hill est décédé entre le 16 avril 1837 et le 23 juin 1847. Je n'ai pas trouvé son acte de sépulture dans le registre anglican de Trois-Rivières. Son épouse, Mary Ann Charleton, est décédée entre le recensement de 1852 et le 8 septembre 1856.

Par ailleurs j'ai mis à jour un article précédent intitulé : Des conversions et des servantes : la famille Hill de Trois-Rivières.


dimanche 16 mars 2014

Toussaint Bellemare ou « la nuit tous les chats sont gris »

Modifié le 17 mars 2014

C'est le troisième article que je consacre aux circonstances de la noyade de John Head, le fils du gouverneur général du Canada, en 1859. Celui-ci porte sur Toussaint Bellemare qui a plongé dans l'eau froide de la rivière pour ramener le noyé sur la rive. Il est devenu une célébrité sur le Saint-Maurice. Grand chasseur, nageur et guide de canots, un personnage que l'on ne devine pas en consultant les registres et les recensements.

Le récit de Gérin

Dans Deux voyages sur le Saint-Maurice, publié en 1889, Napoléon Caron racontait que M. Toussaint Bellemare avait repêché le corps du fils du gouverneur général Lord Edmund Head, noyé dans la rivière Saint-Maurice près de la chute de Grand-Mère. Il tenait cette information d'un autre récit de voyage sur le Saint-Maurice publié en 1872 par E. Gérin dans La Revue Canadienne
« À deux lieues au-dessus des Piles nous souhaitons le bonjour, en passant, à Toussaint Bellemare. Toussaint Bellemare est une des célébrités du St. Maurice. Il n'a pas de supérieur comme chasseur, comme nageur ou comme guide de canots. C'est lui qui retira de l'eau le corps du fils du Gouverneur Head lorsque cet infortuné jeune homme se noya à la Grand-Mère. Un sauvage était parvenu à trouver du bout d'une perche l'endroit où il gisait au fond de la rivière, mais c'est Bellemare qui, plongeant hardiment, rapporta sur le rivage le fils du représentant de notre souveraine.
Cette famille de Bellemare est presque toute employée dans le St. Maurice. On en retrouve quelques-uns à la Rivière-au-Rat ; d'autres sont employés de la Compagnie de la Baie d'Hudson.
»

La nuit tous les chats sont gris

Ce cas illustre bien les limites de la recherche généalogique basée sur l'examen des registres paroissiaux et des recensements. Ces sources ne nous disent rien sur la personnalité des gens. Il faut trouver d'autres documents pour mettre un peu de chair autour de l'os, mais ces autres sources sont rarement disponibles.


Ce que l'on sait de Toussaint Bellemare

Toussaint Bellemare est né à Trois-Rivières en 1813. Il n'était donc plus un jeune homme lorsqu'il a plongé dans le Saint-Maurice pour repêcher le corps de John Walker Head en 1859. Il a épousé Françoise Saint-Laurent le 17 janvier 1839 à Trois-Rivières. À son mariage, il était dit journalier, fils de René Bellemare journalier et de Marguerite Doucet.

Toussaint Bellemare et sa famille ont remonté la rivière Saint-Maurice en suivant les progrès de la colonisation. Au recensement de 1852, le couple et ses cinq enfants résidaient au fief Saint-Étienne situé au nord de Trois-Rivières. Ils y étaient encore en avril 1860.

Au recensement de 1861, on les retrouve dans le sous-district « chantiers » au nord du comté de Champlain (cherchez Belleman dans le recensement). Ce territoire comprenait vraisemblablement les établissements sur le Saint-Maurice au nord de la paroisse de Sainte-Flore. Toussaint est dit cultivateur et la population qui l'entoure est constituée d'hommes de passage : des «foremen», des «labourer» dont la résidence est située en dehors du sous-district, probablement des bûcherons. L'endroit était donc relativement isolé.

Il y avait des cultivateurs parmi les bûcherons pour produire le foin nécessaire à l'alimentation des chevaux utilisés pour sortir les billots de la forêt. Le foin valait une fortune dans les chantiers du Saint-Maurice à cause des coûts de transport élevés. Il était donc rentable de produire localement les graminées fourragères peu exigeantes en matière de sol et de climat.

En 1871, la famille a été recensée, sous le nom de Belmar cette fois-ci, dans un sous-distict du comté de Champlain nommé Mékinac, toujours sur une ferme. Je crois que le « Mékinac » de 1871 correspond grosso modo au sous-district « Chantiers » de 1861. René Bellemare, le père de Toussaint âgé de 90 ans habite avec eux. Il y a deux autres couples mariés sous ce toit : leurs fils Pierre et René ont des épouses mais pas d'enfants. Trois filles célibataires : Marie (29 ans), Élise (19 ans) et Augustine (12 ans). Françoise Saint-Laurent, épouse de Toussaint Bellemare a eu son dernier enfant à l'âge de 46 ans.

Le lieu-dit La Pêche

En novembre 1870, Toussaint Bellemare a présenté une pétition au parlement de Québec. J'ignore le sujet de cette pétition, mais le recueil des Journaux de l'Assemblée nationale (volume 4) indique que Bellemare était de l'endroit appelé "La Pêche" sur la rivière Saint-Maurice.

Toussaint Bellemare est décédé le 11 juillet 1876. Ses funérailles ont eu lieu à Sainte-Flore, paroisse voisine des Piles. L'officiant a noté dans le registre que Toussaint était mort à la Pêche, Rivière Saint-Maurice à l'âge de soixante et onze ans.


Il est décédé, non pas alors qu'il pêchait sur le Saint-Maurice comme certains l'ont cru, mais plutôt en un lieu-dit La Pêche sur le Saint-Maurice. Par ailleurs, le curé de Sainte-Flore l'a vieilli de huit ans. Né en 1813, Toussaint avait 63 ans et non pas 71 lors de son décès.

Tout porte à croire que ce lieu-dit La Pêche était situé à l'embouchure de la Rivière à la Pêche sur le Saint-Maurice. C'est probablement à cet endroit que Gérin a visité Toussaint Bellemare vers 1871, deux lieues (environ dix kilomètres) au-dessus des Piles. L'étiquette Sur le Saint-Maurice pouvait signifier qu'il n'y avait par d'autre route que la rivière pour s'y rendre.

On trouve au nord de Saint-Jean-des-Piles, sur la rive Ouest du Saint-Maurice, l'embouchure de la rivière à la Pêche qui prend sa source dans le lac du même nom. Les résidents de cet endroit ont été expropriés lors de la création du Parc national de la Mauricie en 1970. Cette carte du parc montre le secteur de la rivière à la Pêche dans l'encadré en haut à droite.

Carte du secteur Rivière-à-la-Pêche du Parc national de la Mauricie


À la fin du XIXe siècle, les colons installés à cet endroit et plus haut sur les deux rives du Saint-Maurice étaient rattachés à la mission de Mékinac, un mot algonquin qui signifie tortue. Sur son site web, la municipalité de Saint-Roch de Mékinac présente un bref historique qui comporte le passage suivant :
« La prise de possession des terres progressa très lentement. Les colons peu nombreux s’étaient éparpillés à partir de la Pointe-à-la-Mine jusqu’à Rivière Mattawin sur la rive est, et la rive ouest à partir de la rivière La Pêche jusqu’en face du lac Caribou. »



Merci à André Hamel qui m'a beaucoup aidé dans cette recherche.

Note : Il n'y a pas de lien de parenté proche entre Toussaint Bellemare et le coloré ministre de l'Union Nationale Maurice Bellemare, qui fut conseiller municipal à Saint-Jean-des-Piles après son retrait de la politique provinciale.

vendredi 14 mars 2014

La noyade de John Head d'après Napoléon Caron

Nous avons vu dans un article précédent que John Walker, le fils du gouverneur général du Canada, lord Edmund Walker Head, s'est noyé dans la rivière Saint-Maurice, près des chutes de Grand-Mère, en septembre 1859.

Le rocher de la Grand-Mère au milieu de la chute vers 1900.

Dans son récit intitulé Deux voyages sur le Saint-Maurice, publié en 1889, Napoléon Caron raconte les circonstances de cet accident. Précisons que Caron n'a pas assisté aux événements. Il s'est inspiré de ce qu'en disaient les gens du coin trente ans plus tard. On sent bien en lisant sa description que l'auteur n'appréciait pas Lord Head et cherchait à le ridiculiser. Voici donc un extrait du récit de Napoléon Caron :
« Sir Edmund Head, qui gouverna les provinces unies du Canada depuis 1854 jusqu'en 1860, avait voulu se donner le plaisir délicat d'un voyage sur le Saint-Maurice. Il partit donc de Trois-Rivières en grand équipage et s'avança d'un poste à l'autre au milieu d'une société brillante et de démonstrations extraordinaires. En face de la chute de Shawinigan, dans un endroit qu'on avait défriché tout exprès, il prit un repas qui est demeuré célèbre sur le bord du Saint-Maurice. Il se rendit ensuite à la Grand-Mère, et là il vit les nageurs les plus habiles faire de grande prouesses pour le récréer er récréer aussi les gens de sa suite. Le gouverneur prenait un grand plaisir à ces jeux, et il exprima le désir de voir son propre fils y prendre part. Le jeune homme ne se fit pas prier : il se jeta à la nage et parut de force à lutter avec les plus habiles. Il disparut bientôt sous les flots mais on crut qu'il voulait montrer ses habilité de plongeur. On attend, on regarde ; le jeune homme ne parait pas. Enfin, il est évident qu'un malheur est arrivé. Quelle stupeur ! quelle désolation !
Un sauvage toucha le corps du pauvre noyé avec une perche, et M. Toussaint Bellemare alla le chercher au fond de l'eau et le traîna au rivage.
Si ce jeune homme eut appartenu aux rudes habitants du Saint-Maurice, ils l'eussent roulé sans respect et sans miséricorde, pour lui faire vomis l'eau qu'il avaient bue et peut-être fut-il revenu à la vie. Mais c'était le fils du gouverneur : il fut déposé douillettement sur de molles couvertures de laine et il resta plongé dans la mort, car les larmes de son père ne pouvaient le ressusciter.
Sir Edmund Head s'en retourna, dans un grand deuil, avec la dépouille inanimée de son fils. Les scènes joyeuses ont souvent un funeste lendemain.
Il sembla garder rancune au Canada de ce malheur terrible et il quitta notre pays si hospitalier sans aucune espèce de regret.
De leur côté, les Canadiens-français n'ont gardé de ce gouverneur qu'un souvenir désagréable : ils ont compati à sa douleur de père, mais ils n'ont jamais pardonné au représentant de leur souveraine de leur avoir appliqué le titre infamant de race inférieure. Il y a des écarts de langage que le représentant d'un grand pays comme l'Angleterre ne peut se permettre impunément.
»
En marge de son récit, Caron a ajouté les précisions suivantes :
« L'accident survint le 24 septembre 1859. Le gouverneur général avait accepté l'invitation du maire de Trois-Rivières, Joseph-Édouard Turcotte. Le jeune homme, John Head, avait 19 ans. »

Merci à André Hamel qui m'a signalé ce passage de Deux voyages sur le Saint-Maurice.

mercredi 12 mars 2014

Le fils de Lord Head s'est noyé

Selon cet extrait des Annales des Ursulines de Trois-Rivières, le fils du gouverneur général du Canada s'est noyé aux chutes de Shawinigan en 1858 :
« Lord Head annoncé pour le 5 juillet 1858 ne descend pas au monastère. Il a été frappé dans ses plus chères affections par la mort de son fils noyé en visitant les chutes Shawinigan. »
En 1857, le maire de Trois-Rivières Joseph-Édouard Turcotte a entrepris la construction d'un hôtel de luxe, le « Château Turcotte », avec vue sur les chutes de Shawinigan. On y accédait depuis la Baie-de-Shawinigan après avoir escaladé la montagne à pied. Cette excursion était prisée des visiteurs de marque de passage à Trois-Rivières. Pour rentabiliser l'hôtel, Turcotte projetait de construire un tronçon de chemin de fer passant par les chutes entre Les Piles et Trois-Rivières.

Cet édifice a inspiré le roman de Moïsette Olier intitulé L'homme à la physionomie macabre.

Sir Edmund Walker Head (1805-1868) a été gouverneur général du Canada de 1854 à 1861. Son fils John qui s'est noyé dans la rivière Saint-Maurice était l'unique héritier du titre de baron de Head. Cet événement l'a profondément affecté, à tel point qu'il aurait perdu le goût de la politique.

L'annaliste du couvent des Ursulines de Trois-Rivières avait tout faux. Elle a confondu les lieux et les années. La noyade de John Head s'est produite en septembre 1859, près des chutes de Grand-Mère, en amont de Shawinigan. Voici ce qu'en disait le York Herald de Richmond Hill en Ontario :   "We regret to learn that Mr. John Head...," York Herald (Richmond Hill, ON), 30 Sep 1859, p. 2  Notice of the death of the Governor General's son by drowning, near the falls of the Grand Mere, River St. Maurice.

Nous verrons dans un prochain article la description que Napoléon Caron a faite de cet accident dans  son récit intitulé Deux voyages sur le Saint-Maurice.



Au sujet du Château Turcotte, voir Shawinigan depuis 75 ans de Fabien Larochelle.


Modifié le 14 mars 2014.