mercredi 25 septembre 2013

Une ligne de vie

Un sceptique comme le Flâneur ne croit pas aux lignes de la main. La ligne de vie dont il est question ici est la suite chronologique des événements qui concernent un individu, de sa naissance jusqu'à son décès.
 
Des chercheurs plus disciplinés que moi développent des méthodes de classement des informations généalogiques. J'essaie de m'en inspirer pour mettre un peu d'ordre dans mon fouillis. On trouve, notamment, une présentation de la ligne de vie sur l'excellent blog Chroniques d'antan et d'ailleurs. Son tableau m'a servi de modèle.

Les informations que l'on intègre dans une ligne de vie sont  celles que l'ont trouve le plus souvent dans les documents-sources en généalogie : les actes de baptême, mariage et sépulture, les actes notariés et les recensements, principalement. Ces informations sont la date, le domicile, la profession, l'âge et l'événement.

An Mois Jour Domicile Profession Âge Événement

La ligne de vie permet donc de visualiser le déroulement de la vie d'un individu. Ça peut sembler trivial, mais ce tableau fait parfois ressortir des continuités, des ruptures ou même des incohérences que l'on n'aurait pas remarquées autrement. L'ennui, c'est qu'il faut y consacrer plusieurs heures. Pour ma part, je ne l'utilise que dans les cas les plus compliqués comme celui de Nazaire Robitaille dans le tableau qui suit.

Le cas de Nazaire Robitaille est compliqué parce qu'il a vécu, avec sa famille, dans six localités différentes où il a pratiqué toutes sortes de métiers. La famille de Nazaire a vécu, notamment, à Lowell, Mass. Je croyais qu'ils y étaient restés une dizaine d'années, mais la ligne de vie m'a permis de découvrir que leurs séjours aux États-Unis étaient de courte durée, jamais plus de deux ou trois ans. Ils y sont allés à quatre reprises.

Je reviendrai plus tard sur l'histoire de cette famille, mais voici pour l'instant la ligne de vie de Nazaire Robitaille de sa naissance à Saint-Félix-de-Valois en 1854 à son décès à Sainte-Flore en 1927.


Ligne de vie de Nazaire Robitaille (1854-1927)







An Mois Jour Domicile Profession Âge Événement
1854 12 23 St-Félix-de-Valois
0 Sa naissance
1861 ? ? St-Jean-de-Matha
6 Recensement
1871 ? ? St-Jean-de-Matha
16 Recensement
1874 11 12 St-Jean-de-Matha

Parrain de Délia Potvin
1880 7 14 St-Alexis-des-Monts

Parrain d'Odila Robitaille
1881 ? ? St-Alexis-des-Monts Voyageur 25 Recensement
1882 9 24 St-Alexis-des-Monts

Parrain de Georgiana Soucy
1883 7 8 Lowell, Mass Brick Maker 28 Son mariage
1884 7 12 St-Alexis-des-Monts

Baptême de sa fille Exina
1885 5 9 St-Alexis-des-Monts

Parrain de Nazaire Beaulieu
1885 8 9 St-Alexis-des-Monts

Parrain de Wilfrid Ducharme
1886 1 2 St-Alexis-des-Monts

Baptême de sa fille Héléna
1887 12 20 St-Alexis-des-Monts

Baptême de son fils Joseph
1890 2 18 St-Alexis-des-Monts

Baptême de sa fille Dérilda
1891 ? ? St-Jean-de-Matha
36 Recensement
1892 4 25 St-Jean-de-Matha

Baptême de sa fille Azélia
1894 8 14 St-Jean-de-Matha

Baptême de son fils William
1897 2 15 Lowell, Mass Laborer
Naissance de son fils Henry
1899 3 30 St-Jean-de-Matha

Baptême de son fils Télesphore
1899 4 28 St-Jean-de-Matha

Parrain d'Ozias Bruneau
1901 8 31 Lowell, Mass Wood Chopper
Naissance de sa fille Cléona
1902 11 3 Lowell, Mass Operative
Mariage de sa fille Exina
1903 5 1 St-Jean-de-Matha

Naissance de son fils Napoléon
1904 7 11 St-Mathieu

Mariage de sa fille Héléna
1904 11 4 St-Mathieu

Parrain de Dorilda Lafrenière
1905 4 7 St-Mathieu

Parrain de Cléona Lafrenière
1905 11 8 Lowell, Mass Laborer
Naissance de son fils Roméo
1906 2 24 Lowell, Mass

Décès de son fils Napoléon
1909 2 26 St-Mathieu

Parrain d'Azéline Grenier
1910 ? ? Lowell, Mass

Recensement (sauf Nazaire)
1911

St-Mathieu Cultivateur 55 Recensement
1918 11 7 St-Mathieu

Décès de son fils Télesphore
1918 11 12 St-Mathieu

Décès de sa fille Dorilla
1925 2 25 Ste-Flore

Décès de son fils William
1925 8 26 Ste-Flore

Mariage de son fils Roméo
1927 7 6 Ste-Flore
72 Son décès

mardi 24 septembre 2013

Lewis Barttro

Au 19e siècle, des centaines de milliers de Canadiens français ont émigré en Nouvelle-Angleterre. Les nostalgiques ont reformé des «Petits Canada», alors que les plus pressés de réussir ont voulu s'américaniser le plus rapidement possible. La facilité avec laquelle certains ont renoncé à leur identité, pour se fondre complètement dans le creuset états-unien, est étonnante.

Pour illustrer ce phénomène d'assimilation rapide et consentante, prenons l'exemple de Louis Berthiaume, alias Lewis Barttro, de Pointe-du-Lac, près de Trois-Rivières, qui a émigré au Massachusetts vers 1837. Il a acquis une certaine notoriété en Nouvelle-Angleterre pour avoir survécu à la bataille de Gettysburg pendant la Guerre de Sécession. On trouve une abondance de documents sur lui et sa famille sur le site américain de recherche Familysearch.

 
Source : Lewis Barttro and Family.

Lewis Barttro (Louis Berthiaume) a épousé Julia Bliss (Julie Duplessis), le 23 septembre 1849 à Worcester, Mass. Louis Berthiaume est né à la Pointe-du-Lac, près de Trois-Rivière, et Julie Duplessis-Sirois, à Saint-Pierre-les-Becquets sur la rive Sud du Saint-Laurent.

Ils connaissaient évidemment leurs véritables patronymes, mais n'ont rien fait pour les rétablir. J'ignore s'ils savaient lire, probablement pas, mais ils n'étaient pas stériles : leurs 18 enfants, dont 16 ont atteint l'âge adulte, ont tous porté le nom de Barttro avec deux t.

Source : Lewis Barttro and Family.

Ils n'étaient pas les seuls à avoir anglicisé ou laissé angliciser leur nom. Une de leurs filles a épousé un Christmas (Noël), une autre a marié un Zeno (Lusignan). On trouvait aussi dans leur entourage des Jeannette (Genest), des Root (Racine?), des Desany (Desaulniers?), des Cross (Lacroix?) et des Laflash (Laflêche?).

Selon John Fisher qui leur a consacré cette page, certains de leurs petits-enfants ont repris le nom de Berthiaume au début du vingtième siècle. On ne peut pas effacer son passé.

On trouve un article sur Louis Berthiaume sur Patrimoine, Histoire et Multimédia (ici) où j'ai découvert le site de John Fisher.

samedi 21 septembre 2013

La bière et les femmes

Donnez-moi une femme qui aime vraiment la bière et je conquerrai le monde (Guillaume II).

Il n'y a pas si longtemps encore, la bière était considérée comme une boisson exclusivement masculine. Pour une femme, boire une bière était mal vu, pour ne pas dire vulgaire. Une femme pouvait prendre un verre de vin ou un digestif, dans les grandes occasions, mais surtout pas une bière. C'était la boisson des tavernes, un lieu de perdition réservé aux hommes.


Les choses ont bien changé, quoique lentement. Au Québec, les tavernes n'ont été ouvertes aux femmes qu'au début des années 1980. Après la levée de l'interdiction, les taverniers affichaient fièrement "Bienvenue aux dames" même s'il n'y avait encore aucune femme à l'intérieur.


Aujourd'hui, les trois quarts des buveurs de bière sont des hommes, ce qui signifie quand même que la proportion des femmes est passée de 0 à 25 % en quelques décennies.
 
Depuis longtemps, les grandes brasseries ont essayé de changer cette image négative de la bière chez les femmes par des publicités qui leur sont spécifiquement destinées. Ces publicités prétendaient que la bière est bonne pour la santé des femmes.

Source : Vieux papiers du Flâneur.

Ce calendrier de la compagnie Dow présente  "La Belle Dow, La Santé Même". Cette Belle Dow de 1935 est une femme à l'allure masculine, avec des joues rouges, assise sur une table à côté d'une grosse bouteille de bière. Ici, santé égale virilité. On perçoit le message subtile : faîtes comme les hommes, vous vous en porterez mieux.

Certaines publicités ont poussé le message plus loin, je dirais même un peu trop loin. Celle-ci prétendait que la bière est nourrissante pour la femme qui allaite et donc, bonne pour la santé du nourrisson.



Hors-sujet : Remarquez les dessins de poisson sur les vendredis du calendrier de la Belle Dow. En 1935, le vendredi était un jour dit maigre où les Catholiques devaient s'abstenir de manger de la viande. Cette tradition s'est maintenue au Québec jusqu'à la fin des années 1960.

jeudi 12 septembre 2013

La fureur des Abénakises

Dans nos anciens manuels d'histoire du Canada, les méchants étaient toujours les Iroquois, ces «cruels et perfides» alliés des Anglais. On aimait les détester pour les raids qu'ils effectuaient dans la vallée du Saint-Laurent au cours desquels de nombreux colons ont été tués, mais c'était la guerre et il y a eu des morts des deux côtés.

Pour les Anglais de la Nouvelle-Angleterre, les méchants étaient plutôt les Hurons et les peuples de la famille algonquienne alliés aux Français. Les Anglais détestaient particulièrement, semble-t-il, les Abénakis dont le territoire chevauchait la frontière entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre. L'Abénakis était l'Iroquois de l'Anglais - on est toujours l'Iroquois de quelqu'un chantait Sylvain Lelièvre.

Dans Apostolat missionnaire en Mauricie, publié aux Éditions du Bien public en 1952, l'auteur Yvon Therriault raconte l'attaque de la mission abénakise de Saint-François-du-Lac par un détachement américain lors de la guerre de conquête.


Le 13 septembre 1759, le général anglais Amherst donnait ses instructions au major Rogers qui commandait ce détachement de 200 Américains. Il lui ordonnait de tuer tous les guerriers abénakis, mais d'épargner les femmes et les enfants. Yvon Therriault présente une traduction de cette lettre de Amherst à Rogers (page 155) :


Suivant les instructions, le détachement du major Rogers a brûlé le village et tué une trentaine d'hommes. La plupart des guerriers abénakis étaient alors absents, engagés dans les rangs de  l'armée française.

Selon Therriault, qui cite un document des archives coloniales de l'État de New York, les hommes de Rogers ont ensuite été rattrapés par les Abénakis et les soldats français lancés à leurs trousses : « Une quarantaine furent mis à mort, dont une dizaine au camp même de Saint-François-du-Lac. On affirme que la fureur des femmes abénakises ne connut aucune pitié pour les dix prisonniers qu'on leur livra. »

mardi 10 septembre 2013

De choses et d'autres (7)

Le carnet du flâneur accueillera bientôt son cent millième visiteur. Merci à ceux qui le suivent régulièrement et qui le citent à l'occasion.

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Antoinette Lemay est née le 6 mars 1680 à Lotbinière et a été baptisée le lendemain à Grondines, ce qui signifie que son père Michel a traversé le fleuve en chaloupe avec un nouveau-né pour le faire baptiser le plus vite possible. Il fallait vraiment avoir peur des limbes! Ce concept tordu de «limbes des enfants» a été aboli par le Vatican en 2007.

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À l'époque de la Nouvelle-France, les morts étaient souvent enterrés le jour même. Je crois que c'est la connaissance de cas de personnes réveillées dans leur tombe qui, plus tard, a incité les familles à attendre quelques jours avant d'enterrer leurs défunts. De tels cas ont été signalés pendant les épidémies, notamment lors de la grippe espagnole de 1918.

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J'ai ajouté à la liste des doyennes de la Mauricie Madame Alice Trudel, née le  21 décembre 1905 à Saint-Jean-des-Piles. Elle est décédée le 22 juin dernier à l'age de 107 ans et 6 mois.

jeudi 5 septembre 2013

Patronyme et génétique

Les amateurs de généalogie, comme moi, accordent beaucoup d'importance à leur ancêtre du nom. Ils écrivent l'histoire de sa famille, adhèrent à une association qui lui est consacrée et font des voyages en Europe pour visiter le lieu d'origine de cet immigrant.

Saint-Fraigne, lieu d'origine de Mathurin Martineau


Pourtant, l'ancêtre du nom ne tient pas plus de place, dans le patrimoine génétique, que n'importe lequel des 4096 individus que l'on trouve dans un tableau d'ascendance à la treizième génération. Il est même moins important, génétiquement parlant, que ceux dont le nom apparaît plusieurs fois dans ce même tableau en forme d'arbre.

Source : Parcourslemonde.com


Par exemple, dans le tableau d'ascendance de mes filles, Mathurin Martineau dit Saintonge, l'ancêtre du nom,  n'apparaît qu'une seule fois, tandis que l'on retrouve dans cet arbre :
  • Robert Caron 7 fois,
  • le saintongeais Étienne Gélinas 6 fois, 
  • le percheron Pierre Rivard 6 fois,
  • le normand Charles Lesieur 5 fois.
On pourrait donc en conclure qu'elles ont sept fois plus de Caron ou six fois plus de Gélinas que de Saintonge.

Il n'y a pas que les patronymes et les gènes qui passent d'une génération à l'autre. Des valeurs, des connaissances, des façons de faire peuvent aussi être transmises. Généralement, les garçons apprenaient leurs tâches et leurs rôles avec leur père et les filles, avec leur mère. Mais sur ce plan, je crois qu'il faudrait accorder davantage d'attention aux femmes qui ont d'abord élevé nos ancêtres.