mardi 25 juin 2013

La vision de Jeanne Baillargeon

Les religieux ajoutaient parfois des détails surnaturels à leurs discours ou à leurs récits. Ces enjolivements, ces mensonges pieux, avaient une fonction pédagogique : édifier le fidèle, l'encourager à la piété ou à la vertu. C'est ainsi qu'un événement historique prenait forme de légende sous la plume d'un personne bien intentionnée mais peu soucieuse de l'exactitude des faits. C'était encore pratique courante au début du vingtième siècle, comme en témoignent nos anciens manuels d'histoire du Canada de niveau primaire.

Marie Guyard, une Ursuline de Québec, mieux connue sous le nom de Mère Marie de l'Incarnation, a écrit des centaines de lettres. Sa correspondance est considérée comme la deuxième source d'informations la plus abondante sur les débuts de l'histoire de la Nouvelle-France, après les Relations des Jésuites. Elle à été béatifiée par le pape Jean-Paul II, le 22 juin 1980.


Marie Guyart 1599-1672 (source Wikipedia)
Dans une lettre aux Ursulines de Tours en France, écrite vers 1668, Marie de l'Incarnation racontait à sa façon l'histoire de Jeanne Baillargeon, une enfant française enlevée par les Iroquois et libérée par le Marquis de Tracy. Un extrait de cette lettre a été reproduit par Cyprien Tangay dans À travers les registres publié deux siècles plus tard, en 1886 :
« Elle fut emmenée dans leur pays où elle demeura près de neuf ans ! Elle se plût tellement aux coutumes de ces sauvages qu'elle était résolue de passer avec eux le reste de sa vie. M. de Tracy ayant obligé cette nation de rendre tous les Français qu'ils tenaient captifs, elle se retira dans les bois de crainte de retourner en son pays. Lorsqu'elle se croyait en assurance, une religieuse lui apparût et la menaça de la châtier si elle ne retournait pas avec les Français. La crainte la fit sortir du bois et se joindre aux autres captifs que l'on mettait en liberté. À son retour, M. de Tracy lui donna cinquante écus pour se marier ; mais il voulut qu'elle fut premièrement mise aux Ursulines pour reprendre l'esprit du christianisme, qui s'était fort affaibli parmi les Iroquois. Quand elle vit le tableau de la mère Marie de Saint-Joseph, elle s'écria : Ah, c'est celle-là qui m'a parlé, et elle avait le même habit.»
Mère Marie de Saint-Joseph était l'une des compagnes ursulines de Marie de l'incarnation, venues fonder le couvent de Québec en 1639. Elles étaient toutes deux originaires du couvent de Tours en France. Marie de Saint-Joseph est décédée à Québec en 1652, soit seize ans avant la lettre de 1668. Marie de l'Incarnation, qui avait beaucoup d'affection pour elle, a fait plusieurs fois son éloge dans sa correspondance. Selon le récit de 1668, cette compagne défunte serait donc revenue sur terre pour convaincre une jeune fille captive de retourner chez les siens.

Qui était cette Jeanne Baillargeon enlevée par les Iroquois ? Nous verrons dans un prochain message qu'il existe deux théories à ce sujet.


Note : Curieusement, cette missive de 1668 citée par Cyprien Tangay ne se retrouve pas dans les Lettres de la vénérable Marie de l'Incarnation publiées à Paris (sans date). Ces lettres ont fait l'objet de plusieurs rééditions et la plupart des originaux sont aujourd'hui disparus.