mardi 28 février 2012

L'image sainte de Monsieur Chatillon

Un article paru dans Le Constitutionnel du 5 octobre 1874 :
« Il s’est produit un phénomène vraiment extraordinaire à Nicolet, jeudi le 1er du courant. Monsieur O. H. de Chatillon (professeur de musique au séminaire), possède une petite photographie de Notre-Dame du perpétuel secours dont la figure a paru s’animer à différentes reprises. Plusieurs personnes ont vu le phénomène et s’accordent toutes à dire qu’il s’est réellement produit. À l’heure qu’il est, l’image en question se trouve chez Messire le grand vicaire Thomas Caron [...]. »

Octave Hardy dit Chatillon (1831-1906) a été professeur de musique au séminaire de Nicolet de 1862 jusqu'à sa mort en 1906. Il était aussi compositeur et auteur dramatique. On trouve plusieurs musiciens et compositeurs parmi ses descendants à Nicolet. Un article de l'encyclopédie canadienne lui a été consacré.

Le grand vicaire Thomas Caron (1819-1878) est né à Rivière-du-Loup (Louiseville), fils de Louis Caron cultivateur et d'Euphrosine Béland. Il a été le supérieur du séminaire de Nicolet pendant une vingtaine d'années (voir l'article du DBC)

L'original de l'image de Notre-Dame du perpétuel secours est une peinture sur bois de style byzantin conservée dans l'église Saint-Alphonse de Rome.

L'article du journal Le Constitutionnel est tiré des Bases de données en histoire de la Mauricie.

dimanche 26 février 2012

Disparition du pin blanc au lac Wyagamac

J'ai déjà traité sur ce blog de la disparition du pin blanc qui était autrefois l'espèce dominante des forêts de la Mauricie (voir Le pin blanc). Dans la Flore Laurentienne publiée en 1935, le frère Marie-Victorin expliquait ce phénomène par la surexploitation de l'espèce à laquelle s'est ajoutée une maladie parasitaire, la rouille du pin blanc.

Un rapport du ministère des Terres et Forêts datant de 1908 donne une autre explication : il en attribue la cause à de mauvaises méthodes d'exploitation forestière. Voici un extrait de ce rapport qui porte sur la région du lac Wyagamac à l'est de La Tuque :

Le pin blanc est très rare; les marchands de bois n’ont laissé debout que les arbres ou trop éloignés ou trop pourris, leur coupe étant impossible ou peu profitable. Cette essence s’est peu reproduite, on trouve ici et là des bouquets de jeunes plants qui paraissent souffrir de l‘ombre épaisse que font les têtes de sapins.

Là où on fait des coupes, le sol est jonché de têtes d’arbres non débranchées et de toutes sortes de débris qui sont le résultat d’une exploitation mal [le mot n’est pas écrit] et mal conduite: à tous ces détritus viennent s’ajouter les arbres que le vent a déracinés; on voit aussi les éclaircis occupés par une masse confuse qui empêche les semences de prendre terrain, ou de se développer lorsqu’elles ont pu germiner. 

Source : Bases de données en histoire de la Mauricie. Région du St-Maurice: description des cantons arpentés, explorations de territoires et levers de plans de rivières, 1889-1908, Québec, Ministère des terres et forêts, Service des arpentages et Service du cadastre, 1908: 15-16.

vendredi 24 février 2012

Un Bon Chrétien

Bon Chrétien Giguère a épousé Dorothée Racine le 24 novembre 1732 à Saint-Anne-de-Beaupré. En fait, il était seulement Chrétien dans l'acte de mariage, mais on découvre qu'il était Bon Chrétien à son baptême le 14 mars 1707 à Sainte-Anne-de-Beaupré. Ses parents Joseph Giguère et Angélique Mercier devaient fonder beaucoup d'espoir sur lui.

Il a fait baptiser 11 enfants à Saint-Anne-de-Beaupré. On le dit Bon Chrétien dans 5 actes de baptême, mais seulement Chrétien dans les 6 autres. Même scénario aux mariages de ses enfants : il est plus souvent Chrétien que Bon Chrétien.

Finalement, son acte de sépulture cache une surprise : Bon Chrétien est devenu Jean-Chrétien Giguère. C'était le 18 mars 1788 à Sainte-Anne-de-Beaupré. On le disait âgé de 80 ans.

Par ailleurs, Wikipédia nous apprend que Bon-Chrétien est un nom générique donné à plusieurs variétés de grosses poires.

vendredi 17 février 2012

De l'origine d'enfirouaper

On m'a raconté une belle histoire sur l'origine du verbe enfirouaper, un mot en usage au Québec qui signifie berner ou tromper.

À l'époque de la Nouvelle-France, il était interdit aux coureurs des bois d'échanger des fusils aux Amérindiens pour des fourrures. On voulait ainsi éviter une aggravation des guerres entre les nations amérindiennes et aussi, éventuellement, que nos alliés se retournent contre nous avec des armes à feu.

Mais les Hollandais et plus tard les Anglais de la Nouvelle-Angleterre n'avaient pas ces scrupules. Des marchands anglais malhonnêtes mettaient debout un fusil dont la hauteur devait être égalée par une pile de fourrures apportée par l'Amérindien. C'était payer beaucoup trop cher pour un fusil. Ainsi, l'expression « in fur wrapped  » serait devenue synonyme de tromperie. Cette expression aurait ensuite été francisée en enfirouaper par les coureurs des bois francophones.

Il existe plusieurs variantes de cette histoire qui établissent un lien entre le canadianisme enfirouaper et l'anglais  « in fur wrapped ». La suivante me semble la plus plausible.

Les Amérindiens couvraient leurs ballots de fourrures avec les plus belles peaux et cachaient les moins belles à l'intérieur. L'expression in fur wrapped serait donc devenue synonyme de tromperie, cette fois-ci de la part des Amérindiens, et les voyageurs à l'emploi de la Hudson Bay Company l'aurait francisée en enfirouaper.

Tout ça me semble plus ou moins convaincant. Je ne serais pas du tout surpris qu'on découvre un jour que le terme enfirouaper est un vieux mot français disparu en France mais conservé au Québec, comme il en existe des dizaines.

jeudi 9 février 2012

La grève des Américains

Dans son reportage sur la fermeture de la papeterie Belgo de Shawinigan, en mars 2008, Pierre Foglia nous racontait à quel point les travailleurs de cette usine étaient fiers de leur travail (voir Le bonheur de travailler). Pour comprendre la source de cette fierté, il faut remonter un siècle en arrière, jusqu'en 1907, l'année de la grève des Américains. 

Au départ, à la Belgo, les emplois qui exigeaient le plus de compétences techniques étaient réservés à des travailleurs américains expérimentés. Les Canadiens-français, fils de cultivateurs ou de forestiers de la région, qui n'avaient pas l'expérience des machines à papier journal, devaient se contenter d'emplois de manoeuvre moins bien rémunérés. La situation a changé en 1907, quand les papetiers américains ont déclenché une grève spontanée.

Dans Shawinigan depuis 75 ans (page 265), Fabien Larochelle rapporte à ce sujet un témoignage d'Aquila Dehauffe qui a été le secrétaire de Hubert Biermans, directeur de l'usine :
"Pendant les 25 années qu'il dirigea l'usine de la Belgo, il n'y eut jamais de grève parmi les Canadiens-français. Seuls les conducteurs américains des machines à papier se sont mis un jour en grève, pour une vétille. Le lendemain, M. Biermans donnait ordre d'adresser les chèques de salaires aux grévistes en leur faisant part qu'il n'avait plus besoin de leurs services : entre-temps, il avait fait appel aux Canadiens-français qui étaient à la remorque des Américains et, tous ensemble, ils réussirent à remettre les machines en marche. Cette affaire avait couté $60,000 à la compagnie."
Les premiers travailleurs de la Belgo étaient sans doute très fiers d'avoir pu remplacer au pied levé des ouvriers spécialisés. Ils avaient compris le fonctionnement des machines en voyant travailler les Américains. Pour ces gens courageux mais peu instruits, la conduite des énormes machines à papier était un exploit. Leur savoir-faire et leur fierté se sont ensuite transmis aux générations suivantes jusqu'à ce jour de mars 2008 où l'usine a fermé définitivement ses portes.

Voir aussi sur ce blog : Du Congo à Shawinigan

mardi 7 février 2012

Le bonheur de travailler

Voici le deuxième article du reportage de Pierre Foglia sur la fermeture de l'usine Belgo de Shawinigan, publié dans le journal La Presse du 29 mars 2008.

Dans le premier article, intitulé Ce jour-là, Shawinigan attendait une bonne nouvelle, Foglia traitait de l'importance de la Belgo pour la ville de Shawinigan et des circonstances de la fermeture. Il s'étonnait que la communauté ne manifeste pas de rancoeur contre la compagnie et le système capitaliste. Drôle d'idée. Comment pourrait-on en vouloir à une entreprise qui a fait partie de nos vies pendant 108 ans?

Le deuxième article est émouvant. Foglia nous décrit la réaction de fierté des papetiers de la Belgo devant la perte de leur travail. Pour ceux qui ont connu le milieu ouvrier de Shawinigan, la justesse du portrait est stupéfiante. 

Le bonheur de travailler 

C'était à la brasserie Rosaire, rue Lambert, taverne plus que brasserie avec ses grandes tables où l'on peut s'asseoir à 20. Il y avait là une centaine d'hommes qui buvaient de la bière, des grosses. Des ouvriers. Des papetiers de la Belgo venus pour un dernier adieu, une dernière accolade, une dernière blague. Salut l'ami. 

Ces hommes-là auraient dû être en colère. Ils ne l'étaient pas. Pas joyeux non plus.Sereins. Sérénité: état d'une personne dont le calme provient d'une paix morale que ne trouble aucun regret, aucun déshonneur.

C'était la veille de la fermeture définitive de leur usine. Leur dernier jour d'une job à 60 000$ par année. Depuis un mois, ils ne faisaient plus que du ménage et même depuis une semaine, ils ne faisaient plus rien du tout. Ils jouaient aux cartes.

Par quelle alchimie le plomb de leur colère est-il devenu sérénité? On leur a pourtant donné toutes les raisons de foutre le bordel.

L'annonce elle-même, raconte Jacques, même s'il n'y a pas de bonne manière d'annoncer la fin du monde - l'annonce elle-même a été faite sans aucune forme, on s'est sentis flushés. Considérez qu'on venait de faire des concessions majeures sur les vacances et les salaires. Considérez encore que lors de la vente de l'usine trois mois plus tôt, nos patrons s'étaient payé des primes de plusieurs millions. Ajoutez que dans les jours qui ont suivi l'annonce de la fermeture, les actions de la compagnie Bowater ont monté en flèche, on s'est sentis flushés et vampirisés. Ajoutez l'impuissance du milieu, illustrée par l'habituel défilé des politiciens impuissants et bavards.

N'importe où ailleurs, c'eût été assez pour foutre le feu.

À la Belgo rien. Pas le moindre incident.

Plus incroyable: dans les deux mois et demi qui se sont écoulés entre l'annonce de la fermeture et l'arrêt définitif de la production, les gars de la Belgo ont battu trois records de production.

Durant ces deux mois et demi de lente agonie, les gars de la Belgo ont fait leur job avec coeur comme ils l'avaient toujours faite, comme leur père et leur grand-père avant eux l'avaient toujours faite, mais eux, les derniers, parce qu'ils se savaient les derniers, se sont fait un honneur d'en rajouter un peu.

Ces trois records de production, alors que tout le monde aurait trouvé normal qu'ils se pognent le cul, ces trois records, les ouvriers de la Belgo n'en sont pas peu fiers. Ç'a été leur manière de saluer. Comme l'artiste qui revient avec son meilleur numéro pour un dernier rappel.

Nous allons vivre des moments difficiles, nos familles aussi, puis nous aurons d'autres jobs et peut-être d'autres mauvaises nouvelles, mais personne ne nous enlèvera cette fierté-là, c'est ce que disaient les hommes de la Belgo, cet après-midi-là, à la taverne Rosaire, rue Lambert, à Shawinigan.

Ces ouvriers qui venaient de perdre leur travail parlaient du bonheur de travailler. Entendez-moi bien: pas du bonheur de gagner 60 000$ par année, même si ça aide grandement à aimer sa job. Pas du bonheur d'avoir une job qui, si souvent, n'est que du non-malheur. Non, non. Du bonheur de travailler.

Ce bonheur si rare. Ce bonheur de boulanger qui fait son pain. C'est bien la dernière chose que je m'attendais à trouver chez des papetiers. Je les imaginais plutôt abrutis de chaleur et de bruit aux commandes de monstres d'acier de cinq étages...

C'est drôle que tu parles du boulanger, m'a dit Denis, nous aussi les papetiers nous travaillons la pâte, nous aussi il fait chaud comme dans un four, mais nous aussi notre pain sort à l'autre bout, ce n'est pas du pain, c'est une feuille de papier. Le bonheur de travailler vient peut-être plus facilement à ceux qui peuvent prendre leur travail dans leurs mains, comme toi ton journal, le boulanger son pain. Tu remarqueras, les gens qui se font chier à la job sont souvent des gens qui ne voient pas le résultat de ce qu'ils font, qui ne savent pas où leur travail s'en va.

Michel était cadre à la Belgo. Entre autres responsabilités, celle de l'embauche des jeunes. On n'a engagé personne pendant 15 ans, c'était un peu déprimant, tous ces cheveux blancs, mais depuis trois ou quatre ans, on est allés chercher des jeunes avec des techniques ou avec un DEC du cégep de Trois-Rivières. Ces deux-là, tiens. Il pointe Alain et Yan. Alain a d'abord été refusé par les ressources humaines parce qu'il avait eu un cancer, le même que celui de Mario Lemieux. Moi je le voulais, j'ai mis mon poing sur la table: Mario Lemieux s'en est sorti.

Vous les choisissiez comment?

Au look. Au feeling. En me demandant: vont-ils aimer ça? Me suis pas trompé avec ces deux-là, c'est sûr. Hein les gars, vous avez aimé ça?

On a adoré chaque minute qu'on a passée à la Belgo, répond Yan.

Moi, bêtement: mais tout ça pour rien, finalement!

Dis pas ça! a sursauté Michel. Dis pas ça! Le ton était presque menaçant. Les deux ou trois ans qu'ils ont passés à la Belgo, c'est pas pour rien. Même s'ils ne doivent plus jamais refaire cette job de papetier. Demande-leur ce qu'ils ont appris.

Qu'avez-vous appris, les gars?

Alain, celui qui a eu le cancer: c'est pas quelque chose que j'ai appris, c'est quelque chose que j'ai vécu: le plaisir de travailler.

Vous aimiez votre job à ce point-là?

Ça se raconte pas.

Trois autres jeunes, Jonathan, Mathieu de Donnacona, et le Crevette (de Matane), tous dans la vingtaine, travaillaient sur la machine 6, la plus difficile à mener.

La 6, la fierté de Jonathan: on faisait du papier que les autres papetières ne voulaient pas faire, trop compliqué. Même à la Belgo, personne ne voulait travailler sur la 6. C'est plate, juste comme on commençait à bien la maîtriser, ils ferment l'usine.

Qu'allez-vous faire?

On va retourner à l'école.

Gilles aussi, 57 ans, travaillait sur la 6 avec les petits jeunes: quand ils ont annoncé la nouvelle, le 29 novembre, on commençait notre shift de minuit à 8h. Blêmes qu'on était. On n'a pas dit un mot de la nuit.

Il ne vous est pas venu à l'esprit de foutre le bordel?

La Belgo, c'était notre chez nous. On ne fout pas le bordel dans sa propre maison. On a fait tout le contraire. Dans les jours qui ont suivi, on s'est appliqués à mener la 6 mieux qu'on ne l'avait jamais fait. On n'a jamais formé une si bonne équipe, hein les jeunes? On a battu des records.

Vous avez battu des records pour remercier le boss de vous avoir mis dehors?

Vous ne comprenez rien. Ce n'était pas pour les boss. C'était pour nous.

Vous avez pleuré?

Pas une fois. Mais là je pleure. Une larme a roulé sur sa joue, aussi singulière sur ce rude visage qu'une larme sur un caillou.

Gus et Pierre travaillaient sur la même machine depuis 15 ans. Des habitudes, des silences. Ne se fréquentaient pas en dehors de la job, mais à la job, un vieux couple. À propos de couple, Gus parle de réajuster celui qu'il forme avec sa femme...

Réajuster?

Ben oui. Prends mon rituel du matin. Ça fait 30 ans que je me lève à 5h15 le matin. Que je suis tout seul dans la cuisine. Que je lis Le Nouvelliste en prenant mon café. Je n'ai plus d'affaire à me lever si tôt, bien entendu. À 7h30 c'est bien assez. Ma femme est déjà dans la cuisine, elle a fait le café et... et elle lit le journal, mon journal. Je m'assois et j'attends.

Vous attendez quoi?

Mon journal. Ça m'énerve.

Restait un autre gros morceau à avaler, à recracher plutôt: la gang. Ce n'était pas juste la fin de la Belgo. C'était aussi l'adieu à la gang. Déjà quelques-uns se levaient, bon ben salut les gars. Se prenaient par les épaules, maladroits. Grimaçaient, mais ne pleuraient pas. Savez comment sont les hommes. Enfilent leur coat et sortent comme si de rien n'était. Comme si leur femme venait de leur demander d'aller chercher du lait. Comme si la vie continuait.

D'ailleurs, elle continue.

Pierre Foglia

dimanche 5 février 2012

Ce jour-là, Shawinigan attendait une bonne nouvelle

Le samedi 29 mars 2008, le journal La Presse a publié un reportage émouvant sur la fermeture de la papeterie Belgo de Shawinigan. C'était signé Pierre Foglia. Du grand Foglia. 

J'ai eu tellement de difficulté à retrouver ce reportage que j'ai décidé de le reproduire intégralement sur ce blog pour le rendre disponible. Il se divise en deux articles. Le premier traite des circonstances de la fermeture et le deuxième, de la réaction des travailleurs. En fait, c'est ce deuxième article qui m'a beaucoup impressionné, mais le premier ne manque pas d'intérêt non plus. Procédons dans l'ordre. Voici le premier.


Ce jour-là, Shawinigan attendait une bonne nouvelle 

Ce 29 novembre, Shawinigan attendait une bonne nouvelle. Sont plutôt rares, les bonnes nouvelles à Shawinigan depuis 30 ans, mais bon, depuis quelque temps, la vaillante petite ville de 60 000 habitants fait de gros efforts pour sortir de sa morosité économique, notamment en s'inventant une vocation récréotouristique. Justement, ce 29 novembre, Shawinigan allait se voir accorder l'organisation des Jeux du Québec de 2010, enfin c'était presque sûr, il restait à Sports-Québec d'en faire l'annonce en soirée.

Au lieu de la bonne nouvelle attendue, Shawi en a eu une très, très, très mauvaise qui n'avait rien à voir. Vers la fin de l'après-midi, la société papetière AbitibiBowater a annoncé la fermeture définitive de la papeterie Belgo en mars 2008.

La Belgo a fermé tel qu'annoncé le jeudi avant Pâques. Au total, 550 emplois perdus. Les meilleurs emplois de la ville.

Au fait, Shawinigan n'a pas eu les Jeux non plus, une petite claque qu'elle n'a même pas sentie, comme un patient à qui le médecin vient d'annoncer qu'il lui reste quatre mois à vivre et ajoute par pure malveillance: ah oui, je pense que vous avez un peu la grippe aussi.

Entre les Shawiniganais et la Belgo, ce n'était pas qu'une histoire d'usine, c'était beaucoup une histoire de famille.

Connaissez-vous quelqu'un qui travaille ou qui a travaillé à la Belgo?

On me regardait comme si je tombais de la lune. Comment ça, si on connaît quelqu'un?

Mon père a travaillé 40 ans à la Belgo. Mon grand-père. Mes oncles. Mes frères. J'ai fini par prendre les devants: je suppose que vous aussi, votre père a travaillé 40 ans à la Belgo?

Vous le saviez? Je m'en doutais.

Ben c'est ça. Ma vie d'enfant et d'ado a tourné autour de la Belgo même si je n'y ai jamais travaillé. Une bonne vie, à vrai dire. On était loin d'être pauvres, je suis allé à l'université grâce à la Belgo.

Une histoire qui commence il y a 108 ans, en 1900, quand des industriels belges attirés par les tarifs avantageux de la Shawinigan Power mettent en chantier une papeterie dans l'étroite dépression entre la rivière Saint-Maurice et une colline escarpée qui deviendra le quartier Belgoville. (L'ex-premier ministre Jean Chrétien y a été élevé. Lui aussi, son père- Wellie - a travaillé à la Belgo, 40 ans je ne pourrais pas dire, mais il y était contremaître).

En 108 ans, la papeterie a été vendue et revendue quelques fois, la dernière fois en juillet l'an dernier alors que l'entreprise américaine Bowater a pris le contrôle d'Abitibi-Consolidated. Pourquoi la Bowater a-t-elle fermé la Belgo trois mois à peine après l'avoir acquise?

Quelques raisons relevées dans les pages économiques des quotidiens: parce que c'était une vieille usine avec des vieilles machines peu performantes. Parce que la baisse régulière du tirage des journaux du monde entier a sensiblement fait baisser la demande en papier journal et, du même coup, fait baisser le prix de la tonne de papier. Parce que les droits de coupe de plus en plus limités posent des problèmes d'approvisionnement. Parce que les salaires payés dans l'industrie papetière sont élevés: autour de 30$ l'heure à la Belgo. La Bowater a fermé la Belgo mais ramassé son carnet de commandes évidemment, cela s'écrit ainsi: ra-tio-na-li-sa-tion.

Mais la communauté, elle?

Qu'a mange d'la... S'cusez. Je voulais dire que la communauté ne compte pour rien dans les décisions des très grandes entreprises. D'ailleurs elle-même, la communauté, n'a rien remis en question, ni la manière dont cette fermeture lui a été assenée, ni l'idéologie de fond. Elle est tout de suite entrée dans l'anecdote et la nostalgie.

J'attends Pierre Lachaume dans le petit parking qui domine l'usine. La Belgo est juste en bas du talus. Le silo où étaient stockés les copeaux, des passerelles, quelques cheminées d'où il ne sort plus rien. Les bâtiments ne laissent pas une si grande impression, pas l'énorme machin industriel que j'attendais...

C'est juste ça?

C'est vrai que sans la boucane et le bruit... concède Pierre Lachaume. C'est la boucane et le bruit qui donnaient vie au monstre.

De là sortait le papier du New York Times, du Miami Herald, de La Presse, du Chicago Tribune, du Boston Globe, même de quelques journaux japonais, mais aussi le papier moins noble des circulaires de Canadian Tire.

Pierre, la cinquantaine, a travaillé à la Belgo 28 ans. Fils et petit-fils de papetiers de la Belgo. Qu'allez-vous faire maintenant?

Je ne sais pas. Me recycler dans la santé peut-être. Cinquante ans, c'est le pire des âges,un peu vieux, mais trop jeune de trois ans pour la retraite. Inquiet? Pas encore. On va continuer à recevoir notre salaire jusqu'à la fin de l'année. Une semaine et demie d'indemnité de licenciement par année d'ancienneté. Après, il y aura le chômage, on n'est pas mal pris tout de suite.

Une angoisse encore diffuse. Le plus dur, c'est ce fonds de retraite qui va arriver d'un coup sous forme de somme globale. Rien à voir avec la sécurité que devaient apporter les versements mensuels jusqu'à la fin de la vie. Plus d'assurance collective. Plus d'assurance pour les soins dentaires. Tout est à revoir. Les vacances de cette année, les rénos prévues... Pierre et sa femme sont allés à une séance d'information d'une entreprise de Nouvelle-Calédonie qui embauche pour les mines de nickel. La Nouvelle-Calédonie, je vous demande un peu...

Réal Lachaume, le père de Pierre. Quatre-vingt-un ans, un grand diable tout d'une pièce. Il déplie précautionneusement une feuille de papier qu'il vient de sortir d'une boîte en fer qui ferme à clé. Sa feuille de paie du 17 novembre 1948 : $1,06 l'heure.

"C'était une job beaucoup plus dure en ce temps-là, mais déjà bien payée. Pensez que les travailleurs du textile gagnaient 20 cents l'heure. Je faisais cinq fois leur salaire. J'ai fait une sacrée belle vie avec la Belgo, monsieur. Quarante-trois ans, on appelle ça une vie, non? Je n'en regrette pas une seule journée. J'ai élevé mes trois enfants avec la Belgo,acheté le bloc appartement où je vis maintenant..."

La Belgo attend d'être démantelée, certain avancent qu'elle sera rasée, mais peut-être qu'elle va tout simplement rouiller là, dernier grand navire échoué dans le courant de la désindustrialisation qui a tant meurtri Shawinigan. Ai-je dit dernier? Dans quelques semaines, l'AbitibiBowater annoncera le sort qu'elle réserve à la Laurentide, l'autre grande papeterie de Shawinigan, 500 ouvriers aussi.

Mais je m'en voudrais de ne pas terminer sur une note plus joyeuse: au lendemain de la fermeture de la Belgo, le marché a extrêmement bien réagi, faisant grimper l'action de la compagnie de 1,75$.

Fuck l'humanité, sauvons le marché.

Pierre Foglia

Voir la suite du reportage de Pierre Foglia : Le bonheur de travailler
Voir aussi sur ce blog : Du Congo à Shawinigan

jeudi 2 février 2012

Joyeuse Chandeleur!


La Chandeleur marquait autrefois dans nos campagnes la fin de la période des fêtes de fin d'année, après Noël, le Jour de l'An et l'Épiphanie.

C'était la fête de la lumière dont l'origine remonte à l'Antiquité. L'Église catholique a récupéré cette fête païenne pour en faire une commémoration de la présentation de Jésus au temple, une trentaine de jours après sa naissance.

Pour souligner l'occasion, ce soir nous mangeons des crêpes et rallumons les décorations de Noël. Et comme le dit le proverbe : à la Chandeleur, la neige est à sa hauteur!

Voir aussi sur ce blog  La Chandeleur