mercredi 31 août 2011

Quelqu'un

Louisa Paulin (1888-1944)
Louisa Paulin, née à Réalmont dans le sud de la France, écrivait en français et en occitan. Elle était atteinte d'une maladie rare, la neuropathie amyloïde,  qui l'a rendue aveugle et paralysée. Incapable d'écrire, elle dictait ses poèmes et sa correspondance à des amis qui venaient la voir. Le dernier poème qu'elle a dicté avant de mourir s'intitulait Quelqu'un. Elle entrevoyait sa propre mort avec beaucoup de lucidité, comme une délivrance.




Quelqu'un

Quelqu'un d'un doigt léger m'a touchée à l'épaule.
Je me suis retournée mais il s'était enfui :
Peut-être es-tu celui que je n'espérais plus
Et dont le souvenir confus
Trouble encore quelquefois le miroir de mes songes ?

Ou bien
L'ange gardien de mon âme d'enfant
Alors que résonnait aux jardins du Printemps
Le doux éclat de nos deux rires ?
Je froissais quelquefois tes ailes dans nos jeux,
Blanches ailes au reflet bleu
Comme l'enfantine journée.
Viens-tu comme autrefois, poser mes pieds lassés
Sur la divine échelle où palpitaient les anges ?
Nous la sentions vibrer d'amour pur sous nos doigts,
Mais c'était le temps d'autrefois...

Ou bien
Es-tu tout simplement
Celle que chaque jour j'attends,
La patiente Silencieuse,
Avec le fil aiguisé de ta faux
Dissimulé derrière ton épaule ? ...
Es-ce donc en ce soir d'automne
Et dans sa fragile beauté
Qu'il faut partir pour l'incertain voyage ?
Ô Mère du sommeil, prends moi donc par la main,
Ne faisons pas de bruit et ne troublons personne,
Partons comme s'envole une feuille en automne.

mardi 30 août 2011

Des choristes et des converses

Choriste : qui se consacre à la prière et à l'étude.
Converse : qui s'occupe des tâches domestiques.

Les communautés religieuses, surtout les ordres contemplatifs cloîtrés, étaient des milieux fermés qui obéissaient à des règles très anciennes. On disait d'une jeune fille qui entrait en religion qu'elle « quittait le siècle ».

Dans les communautés de femmes, il y avait deux catégories de religieuses : les converses et les choristes. Ces catégories ressemblaient beaucoup à des classes sociales. Les Sœurs converses étaient assignées aux tâches domestiques pour permettre aux Sœurs choristes, plus instruites et plus fortunées, de se consacrer à la prière. J'ajoute plus fortunées parce que les communautés religieuses exigeaient une contribution financière des parents pour permettre à leur fille d'accéder au statut de choriste. En plus des travaux nécessaires à l'entretien du couvent, les Soeurs converses pouvaient confectionner divers objets comme des cierges, des hosties ou des soutanes qui rapportaient un revenu à leur communauté. Il y avait aussi des Frères convers dans les communautés d'hommes.

Maria Bourassa le jour de sa profession religieuse.

Maria Bourassa (1894-1945), fille d'Elzéar Bourassa et d'Odélie Gélinas de Saint-Boniface de Shawinigan, était Soeur converse chez les Adoratrices du Précieux-Sang au couvent Gethsémani de Trois-Rivières. Elle était instruite mais ses parents étaient pauvres. Elle a tenu à se faire converse pour, disait-elle, « mener une vie de dévouement, de souffrance et d’immolation ». La notice nécrologique de Maria Bourassa mentionne :
« Notre chère Sœur possédait une très belle instruction, très intelligente, aimable en récréation … Elle aurait rendu de grands services à la Communauté. Cependant, avant sa profession religieuse, des parents lui offrirent encore de remplir les conditions exigées si elle désirait devenir Sœur choriste. Oh non merci, mon choix est fait. Le bon Dieu m’appelle dans ce genre de vie obscure, je veux Le servir dans l’humiliation et l’oubli de moi-même. Elle ne s’est jamais démentie la chère Victime, elle a pleinement réalisé sa devise, son dévouement allait jusqu’à l’héroïsme. »
La communauté des Adoratrices du Précieux Sang a été fondée à Saint-Hyacinthe en 1861 et s'est installée à Trois-Rivières en 1889. C’est un ordre contemplatif dont la mission est d’expier et de réparer « les outrages commis contre l’adorable Précieux Sang de Jésus qui a sauvé le monde ». Le monastère de Gethsémani est situé sur le boulevard Saint-Louis à Trois-Rivières. Construit sur le sommet d'un coteau, c'est un point de repère dans le paysage trifluvien que l'on distingue à des lieues à la ronde. Faute de relève, il a été fermé en 2008 et transformé en condominiums. Au moment de la fermeture, le monastère et son immense terrain étaient évalués à 1,7 million de dollars.

Le monastère de Précieux-Sang de Trois-Rivières.

Sources
- Notice nécrologique de notre chère Sœur Marie de Saint-Joseph (Maria Bourassa) religieuse converse de « Gethsémani » 1894-1945, par Sœur Marie des Séraphins infirmière, Monastère du Précieux Sang, Trois-Rivières, 15 décembre 1945, 6 pages.
- La confection de soutanes par les Adoratrices du Précieux-Sang, sur le site Le patrimoine religieux du Québec.

mardi 23 août 2011

L'opium mongolise ceux qui s'y adonnent

Mis à jour le 16 mai 2016

Au début du vingtième siècle, les préjugés raciaux étaient ancrés dans la littérature populaire et dans les médias d'information. Les lecteurs ne s'en formalisaient pas.

Peter Sellers en Fu Manchu
Le personnage de roman Fu Manchu a été créé par le l'auteur britannique Sax Rohmer en 1912. Il incarnait le stéréotype de l'Asiatique perfide et cruel qui faisait planer sur l'Occident la menace du Péril Jaune. L'Ombre jaune des Bob Morane, le Docteur No des James Bond et même le Docteur Terreur d'Austin Powers sont en quelque sorte les héritiers de Fu Manchu.

À la même époque, en 1909, on trouve dans le journal Le Bien Public de Trois-Rivières un article qui nous explique, le plus sérieusement du monde, que les traits caractéristiques des Chinois, soit les yeux bridés, la « peau jaune » et même les ongles longs sont dus à leur consommation d'opium. Je reproduis ici le texte en question :


L'opium pernicieux mongolise


« Aux propriétés si pernicieuses de l'opium, il faut en ajouter une assez singulière : l'usage immodéré de ce poison « mongolise » si on peut dire ceux qui s'y adonnent.

Sans jamais avoir été en Chine, les fumeurs d'opium finissent par avoir un certain alourdissement des paupières qui donnent à leur regard cette obliquité particulière à l'oeil de l'Extrême Orient. Leur peau tendue fermement sur un squelette de tête devient jaune olivâtre et parcheminée, les pommettes sont saillantes, les yeux bridés, toutes les caractéristiques enfin de la race jaune.

On doit cependant à la vérité de dire que les ongles, à l'opposé de ceux des Chinois, sont rongés jusqu'à la moelle.

Mais peut-être ne faut-il voir là chez ces fumeurs que l'indice d'une dégénérescence plus grande ? Chacun sait en effet que les Chinois prennent un soin extrême de leurs ongles et s'ils les protègent ainsi, c'est qu'ils ont dû éprouver le besoin de les protéger. Les étuis d'argent où il les enferment ne sont donc destinés qu'à combattre la hantise qu'ils pourraient avoir de se ronger les doigts. »

Cet article a été publié dans le journal Le Bien Public du 2 juillet 1909. Il est disponible dans la collection numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Duplessis jeune


Maurice Duplessis et ses soeurs vers 1896
En 1909, Maurice Duplessis, alors âgé de 19 ans, était étudiant au Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières. Il était déjà reconnu pour son talent d'orateur. En juin de cette année, on lui a demandé de prononcer le discours d'adieu à l'intention des finissants lors de la « séance de sortie » qui marquait la fin de l'année scolaire et le retour des pensionnaires dans leurs familles.

Déjà à cet âge, Duplessis affichait des opinions ultra-conservatrices typiques de l'idéologie de survivance du vieux nationalisme canadien-français, toujours sur la défensive. Il prônait la suprématie du clergé sur la société laïque et mettait ses camarades en garde contre les dangers des idées libérales. On peut lui reprocher bien des choses, mais pas d'avoir été incohérent dans sa pensée politique. Il a défendu les mêmes idées jusqu'à la fin de sa vie. Voici un extrait de ce discours du jeune Duplessis:
Certes, mesdames et messieurs, nous connaissons les dangers de l'époque actuelle, parce qu'on nous les a signalés, et ceux qui, tout-à-l'heure, seront arrivés au terme de leur carrière collégiale, en possèdent une connaissance plus complète encore : Aussi bien, pour ne pas faillir à la tâche, s'inspirant des mâles exemples et des salutaires préceptes des fondateurs, les Cooke, les Laflêche et les Richard, dont les noms chers à tous doivent réveiller dans cet auditoire de sympathiques échos, seront-ils avant tout catholiques de nom et d'action. Les succès et les honneurs ne seront jamais capables de diminuer chez eux l'ardeur à défendre les droits de l'Église et, « toujours jeunes, toujours ardents, ils passeront à côté des blasés et des indifférents comme des soldats qui vont au feu pour Dieu et la Patrie ». Aux hommes qui veulent confiner le prêtre dans la sacristie pour en faire un hibou suivant le désir de Voltaire et de Frédéric II de Prusse, ils rappelleront l'inlassable dévouement et les bienfaits inappréciables de notre clergé à l'endroit du peuple canadien-français, puis ils répondront avec Lacordaire que « le prêtre vient de Dieu qui est en tout et que rien ne lui est étranger, parce que rien n'est étranger à Dieu. »
L'extrait est tiré d'un article qui a été publié dans le journal Le Bien Public de Trois-Rivières le 29 juin 1909. On le trouve dans la collection numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

jeudi 18 août 2011

Le Longicorne noir

Le Longicorne noir (Monochamus scutellatus) est un gros coléoptère (2 à 3 cm) qui vit normalement dans les forêts de conifères. Il se nourrit des arbres morts ou malades et joue donc un rôle utile dans la formation de l'humus forestier. On l'identifie facilement grâce à la tache blanche qu'il porte sur le dos, d'où son nom anglais White-spotted sawyer.

Il était très abondant en juillet cet été. On pouvait même l'apercevoir en ville. Celui qui apparaît sur les photos qui suivent est un mâle qu'on reconnaît à ses antennes deux fois plus longues que celles des femelles. Il a bien voulu poser pour nous sur une feuille de hosta.




Les photos sont d'Adrienne.

lundi 15 août 2011

La chasse aux Bohémiens

Un article qui est paru dans le journal Le Bien Public de Trois-Rivières le 2 juillet 1909 et qui ne serait jamais publié dans nos journaux aujourd'hui. Les faits qu'il rapporte sont probablement exacts, mais c'est l'absence de dénonciation qui choque un lecteur du XXIe siècle. Il faut cependant le lire en tenant compte des valeurs de l'époque.

D'où viennent les Bohémiens

Au Moyen-Âge, on les voyait expulsés de Hongrie et de Bohême, à l'occasion du concile de Constance et des persécutions antihussites.

D'après le savant allemand Grellmann, ils seraient originaires de l'Hindustan et l'une des bases les plus sérieuses de cette hypothèse est l'analogie très frappante  entre leur langue et certains dialectes hindous.

Le « Mémorial des Pyrénées » rappelle un vieux dicton des pays basques selon lequel abattre l'un des leurs d'un coup de fusil est aussi légitime que de tuer un loup ou un renard.

Grellmann rapporte également qu'au XVIe siècle, au cours d'une partie de chasse donnée dans une principauté allemande, on massacra comme bêtes fauves une jeune bohémienne.


Le Mémorial des Pyrénées est un journal du Pays Basque français qui a été publié de 1802 à 1919. Un grand nombre de Bohémiens se sont sédentarisés dans cette région de France.

L'historien allemand Henrich  Grellman a publié en 1783 une étude sur les origines des Bohémiens aussi appelés Tsiganes, Gitans, Roms, Romanichels et Manouches. Il a été le premier à établir leur origine indienne aujourd'hui admise. Les Nazis ont utilisé ce prétexte pour tenter de les exterminer au même titre que les Juifs.

Source : L'article du journal Le Bien Public est tiré du site internet de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. La photo provient du blog de Michka.