jeudi 25 novembre 2010

Aux Grandes-Piles en voiture

Elzéar Gérin (1843-1886), frère de l'auteur Antoine Gérin-Lajoie, est né à Yamachiche. Il a été avocat, journaliste, député conservateur du comté de St-Maurice à la Législature de Québec et conseiller législatif à Ottawa. C'était un apôtre du progrès économique, reconnu pour ses discours en faveur de l'industrie forestière et pour la construction de chemins de fer.

Gérin a publié en janvier 1872, dans la Revue Canadienne, un article intitulé "Le St-Maurice : notes de voyage". Son récit nous donne un portrait de la vallée du Saint-Maurice vingt ans après l'ouverture de cette région à la colonisation.  Le voyage commence le 1er août 1871. Un premier segment s'effectue en voiture de Trois-Rivières jusqu'aux Grandes-Piles et un second, sur une barge des Piles jusqu'à La Tuque. Voici quelques extraits du premier segment de son voyage :
(...) St-Étienne! joli village, avec haute-ville et basse-ville, belle église en pierre toute flambant neuve. Un peu plus haut que le village on voit à droite la route qui conduit aux Grès. Là encore, il y a un poste considérable de travailleurs. Le moulin est bâti sur un des plus beaux pouvoirs d'eau qu'on puisse désirer. (...) Les terres ne sont pas bien bonnes à St-Étienne. le sable est généralement sec et peu fertile. À Shawinigan, le sable est plus frais et la moisson est meilleure. Il y a un joli village à St-Boniface aussi. L'église est construite sur le versant méridional d'une chaîne des Laurentides.

Plus haut que Shawinigan il y a encore une paroisse qui sera fondée dans un an. La place de l'église est marquée et le clocher de St-Mathieu s'élèvera bientôt au sein de la forêt. Au-dessus de St-Paulin, surgit en même temps la paroisse de St-Alexis. Quelques jeunes gens de Montréal ont pris des terres entre St-Mathieu et St-Alexis, sur le bord du lac des Souris, et ils s'accordent à dire que la terre est excellente pour la colonisation. Dans le lac ils prennent du poisson autant qu'ils veulent. Voilà jusqu'où la colonisation a pénétré. Et dire qu'il y a vingt ans, il fallait un guide pour aller de Trois-Rivières à Shawinigan. Qui peut prévoir les développements que prendra le territoire du St-Maurice dans les vingt ans à venir ?

Ste-Flore vient à peine de naître et déjà c'est une belle paroisse.  Presque toute la paroisse est formée d'une vallée qui se trouve entre deux chaînes des Laurentides. Le sol est excellent. Il y a des côtes cependant, qui sont rudes à traverser, mais n'importe, nous sommes aux Grandes-Piles avant six heures du soir.

(...) Les Piles! Saluons les Piles, c'est le siège d'une ville future et d'une ville qui deviendra grande. Que le chemin de fer des Piles passe d'un côté du St-Maurice ou de l'autre, cette place n'en restera pas moins le pied de la navigation.

Source : Pierre Dupin, Anciens chantiers du Saint-Maurice, Éditions du Bien Public, Trois-Rivières, 1953
Quand Gérin parle de Shawinigan, c'est du canton qu'il s'agit puisque la ville n'a été fondée que trente ans après son voyage. Il ne mentionne pas la chute qui était une attraction touristique à l'époque. Si je comprend bien son itinéraire, la voiture a emprunté l'ancienne route de Saint-Mathieu qui traversait les montagnes au bout du quatrième rang de Saint-Boniface pour atteindre ensuite le village de Sainte-Flore.

Le Rapide Blanc (chanson)

Oscar Thiffault (1912-1998) a écrit la chanson Le Rapide Blanc en 1935 alors qu'il travaillait à la construction du barrage du même nom sur la rivière Saint-Maurice. Il l'a enregistrée en 1954. On pourrait qualifier Le Rapide Blanc de chanson de chantiers au même titre que Des mitaines pas de pouces en hiver (ici). Cette chanson traite, à mots couverts, d'un sujet tabou : la sexualité. Remarquez l'usage du verbe fortiller, une fusion de frétiller et tortiller, qui signifiait se trémousser ou remuer en parlant de la queue d'un chien.

La chanson a été reprise par plusieurs interprètes, parfois en supprimant le fameux "la wingnan-en-en" qui pourrait venir d'une langue amérindienne. Denise Filiatrault en a fait une version yéyé en 1962. Le groupe Beau Dommage l'a enregistrée en spectacle au Forum de Montréal en 1984. Voici les paroles :

LE RAPIDE BLANC

Le bonhomme est à la porte
La wingnan-en-en (bis)
La bonne femme lui demande
Ce qu'il voulait-ait
Ce qu'il souhaitait-ait
Ah ! Je voudrais madame
J'voudrais bien entrer

Ah ben ! a dit : Entre donc ben hardiment
Mon mari est au Rapide Blanc
Y a des hommes de rien qui entrent, qui entrent
Y a des hommes de rien qui entrent et qui n'font rien-en.

Après qu'il fut entré
La wingnan-en-en (bis)
La bonne femme lui a d'mandé
Ce qu'il voulait-ait
Ce qu'il souhaitait-ait
Ah ! Je voudrais madame
J'voudrais ben m'chauffer

Ah ben ! a dit : Chauffe-toi donc ben hardiment
Mon mari est au Rapide Blanc
Y a des hommes de rien qui s'chauffent, qui s'chauffent,
Y a des hommes de rien qui s'chauffent et qui n'font rien-en.

Après qu'il se fut chauffé
La wingnan-en-en (bis)
La bonne femme lui a d'mandé
Ce qu'il voulait-ait
Ce qu'il souhaitait-ait
Ah ! Je voudrais madame
J'voudrais ben manger

Ah ben ! a dit : Mange-donc ben hardiment
Mon mari est au Rapide Blanc
Y a des hommes de rien qui mangent, qui mangent
Y a des hommes de rien qui mangent et qui n'font rien-en.

Après qu'il eut mangé
La wingnan-en-en (bis)
La bonne femme lui a d'mandé
Ce qu'il voulait-ait
Ce qu'il souhaitait-ait
Ah ! Je voudrais madame
J'voudrais ben m'coucher

Ah ben ! a dit : Couche-toi donc ben hardiment
Mon mari est au Rapide Blanc
Y a des hommes de rien qui s'couchent, qui s'couchent,
Y a des hommes de rien qui s'couchent et qui n'font rien-en.

Après qu'il fut couché
La wingnan-en-en (bis)
La bonne femme lui a d'mandé
Ce qu'il voulait-ait
Ce qu'il souhaitait-ait
Ah ! Je voudrais madame
J'voudrais ben vous embrasser

Ah ben ! a dit : Embrasse-moi donc ben hardiment
Mon mari est au Rapide Blanc
Y a des hommes de rien qui m'embrassent, qui m'embrassent,
Y a des hommes de rien qui m'embrassent et qui n'font rien-en.

Après qu'il l'eut embrassée
La wingnan-en-en (bis)
La bonne femme lui a d'mandé
Ce qu'il voulait-ait
Ce qu'il souhaitait-ait

Ah ! Je voudrais madame
J'voudrais ben fortiller
Ah ben ! a dit : Fortille-donc ben hardiment
Mon mari est au Rapide Blanc
Y a des hommes de rien qui fortillent, qui fortillent,
Y a des hommes de rien qui fortillent et qui n'font rien-en.

Après qu'il eut fortillé
La wingnan-en-en (bis)
La bonne femme lui a d'mandé
Ce qu'il voulait-ait
Ce qu'il souhaitait-ait

Ah ! Je voudrais madame
J'voudrais ben m'en aller
Ah ben ! a dit : Sacre ton camp ben hardiment
Mon mari est au Rapide Blanc
Y a des hommes de rien qui s'en vont, qui s'en vont,
Y a des hommes de rien qui s'en vont et qui n'font rien-en.


jeudi 18 novembre 2010

Le destin de Jean Cloutier

"La tragédie de la mort est en ceci qu'elle transforme la vie en destin." (André Malraux, La condition humaine)

Jean Cloutier, maire de Saint-Prosper dans le comté de Champlain, est mort de façon tragique et tout à fait improbable. Le premier jour du mois de mai 1877, un glissement de terrain a soulevé une énorme vague sur la Rivière-à-Veillet qui l'a emporté alors qu'il discutait sur la chaussée du moulin  Massicotte (voir sur ce blog Un affreux malheur).


F-X Cloutier (1848-1934)
 Son destin aura été d'engendrer le plus grand nombre de membres du clergé qu'on ait vus dans une même famille. Avec sa deuxième femme Olive Rivard-Lacoursière, il a eu quinze enfants dont quatorze ont atteint l'âge adulte. Onze de leurs enfants sont entrés en religion, soit trois prêtres et huit religieuses. Un des prêtres, François-Xavier Cloutier, a été nommé Évêque de Trois-Rivières, tandis qu'une des religieuses, Georgiana Cloutier, a été la supérieure provinciale de la Congrégation de Notre-Dame.

Voici ce que j'ai trouvé sur les enfants de cette famille :
  1. Ferdinand (Jean) né le 14 septembre 1847, baptisé à Sainte-Geneviève-de-Batiscan. Il est décédé le 21 juillet 1855 à l'âge de 8 ans.
  2. François-Xavier né le 2 novembre 1848, baptisé à Sainte-Geneviève-de-Batiscan. Il a été nommé Évêque de Trois-Rivières en 1899. Il est décédé le 18 septembre 1934, à 85 ans et 10 mois selon l'acte de sépulture.
  3. Théophile en 1849. Il a épousé Aurélie Jacob, fille de François-Xavier et de Clarina Rivard le 25 juillet 1871 à Saint-Prosper. Il est décédé le 1er février 1933, à l'âge de 86 ans selon l'acte de sépulture. Je n'ai pas retrouvé son acte de baptême.
  4. Malvina (Elvina) née et baptisée le 27 mai 1850 à Saint-Prosper. Soeur du Sacré-Coeur de la Congrégation de Notre-Dame. Elle est décédée le 11 mars 1933.
  5. Ernest né et baptisé le 5 mars 1852 à Saint-Prosper. Il s'est marié deux fois : avec Clara Frigon, fille de Hilaire et de Marie-Ange Grant, le 11 novembre 1873, puis avec Alphonsine Périgny, fille de François et d'Esther Leduc, le 3 février 1885. Il est décédé le 16 octobre 1924 à l'âge de 72 ans et a été inhumé à Saint-Tite de Champlain.
  6. Prosper né et baptisé le 27 juin 1853 à Saint-Prosper. Il a été curé de Saint-Étienne-des-Grès, de Saint-Narcisse et de Champlain. Il est décédé le 18 octobre 1938 à Trois-Rivières.
  7. Eugénie née le 19 et baptisée le 22 mars 1855 à Saint-Prosper. Soeur Saint-Jean-de-Dieu de la Congrégation de Notre-Dame. Elle est décédée le 13 décembre 1906.
  8. Sara née et baptisée le19 juin 1856 à Saint-Prosper. Soeur Sainte-Jeanne-de-Valois de la Congrégation de Notre-Dame. Elle est décédée le 3 mars 1932 à Montréal.
  9. Jean (Jean-Baptiste) né le 30 et baptisé le 31 janvier 1858 à Saint-Prosper.  Il s'est marié deux fois : avec Sarah Lefebvre, fille de Pierre-Louis et de Henriette Massicotte, le 8 janvier 1884, puis avec Olive Jacob, fille de Laurent et de Judith Rivard, le 10 mars 1898.
  10. Aurélie née et baptisée le 4 février 1860 à Saint-Prosper. Soeur Sainte-Émerence de la Gongrégation de Notre-Dame. Elle est décédée de tuberculose le 24 décembre 1902.
  11. Georgina née le 22 et baptisée le 23 octobre 1861 à Saint-Prosper. Mère Félicité qui fut supérieure provinciale de la communauté des Soeurs de la Providence. Elle est décédée le 15 janvier 1941 à Montréal à l'Institution des Sourdes-Muettes.
  12. Joseph né le 15 et baptisé le 16 octobre 1863 à Saint-Prosper. Il a été vicaire à Saint-Barnabé. Il est décédé le 6 avril 1909.
  13. Amanda née le 8 et baptisée le 9 avril 1865 à Saint-Prosper. Soeur Félicienne de la communauté des Soeurs de la Providence. Elle est décédée en février 1942.
  14. Emma née et baptisée le 26 décembre 1866 à Saint-Prosper. Soeur Sainte-Claire de la Croix chez les Adoratrices du Précieux-Sang. Elle est décédé à Trois-Rivières le 20 mai 1927, à l'âge de 60 ans et 4 mois selon l'acte de sépulture.
  15. Annie née le 22 et baptisée le 23 mai 1869 à Saint-Prosper. Soeur du Saint-Coeur de Marie de la Congrégation de Notre-Dame.

Voir aussi le Fonds de la famille de Jean Cloutier aux Archives du Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières, de même que le Fonds Émile Cloutier et le Fonds François-Xavier Cloutier qui sont conservés au même endroit.

mercredi 10 novembre 2010

Le Florence Griswold Museum

La maison  Griswold
Florence Griswold est née le 25 décembre 1850 à Old Lyme dans le Connecticut, un important centre de construction navale. Elle était la fille du capitaine de vaisseau Robert Harper Griswold.
La famille habitait une très grande maison de style georgien sur la rue principale d'Old Lyme. À la mort de ses parents, Florence Griswold hérita de cette propriété. Comme elle n'avait pas les ressources financières pour l'entretenir, elle dut se résoudre à prendre des pensionnaires.

En 1899, Henry Ward Ranger, un peintre paysagiste, frappa à sa porte. Il cherchait une maison dans la région pour établir une école de peinture et la maison Griswold convenait parfaitement pour son projet. D'autres artistes se sont joint à lui pour former la Lyme Art Colony dont Florence Griswold est devenue l'animatrice. Avec l'arrivée de Childe Hassam en 1903, la maison Griswold a été le centre du mouvement impressioniste aux États-Unis. Elle a été fréquentée notamment par Willard Metcalf, Mathilda Browne et William Chadwick. Les peintres y séjournaient durant l'été et donnaient parfois des toiles pour payer leur pension.

Florence Griswold est décédée en 1937. Sa maison a été  transformée en musée, le Florence Griswold Museum. On peut y voir des oeuvres des pensionnaires du Lyme Art Colony dont certaines sont peintes sur les portes des pièces de la maison. On y trouve aussi une grande fresque sur un mur de la cuisine qui représente les artistes eux-mêmes.

mardi 9 novembre 2010

Commandements de la jeune épousée

Cette carte postale, produite par les Éditions Bergeret, a été postée à Sorel le 31 janvier 1906. Antoine Bergeret (1859-1932) a introduit la carte postale illustrée en France après un voyage en Allemagne au cours duquel il avait découvert ce nouveau mode de communication. La production a débuté en 1898.  Ses ateliers de Nancy auraient imprimé jusqu'à 300000 cartes par jour. Le photographe Pinsonneault de Trois-Rivières a été son agent général au Canada.

Les textes imprimés en rouge sur les cartes de Bergeret sont souvent des leçons de vie dans lesquelles les gens se reconnaissaient, et qui nous font découvrir la mentalité de l'époque. Les Commandements de la jeune épousée (que l'on peut lire en cliquant sur la photo) sont particulièrement révélateurs à cet égard. Le monde a changé !

lundi 8 novembre 2010

On n'a pas attendu le corps

Georges Lampron (1889-1959)
Marie Caron était l'épouse d'Olivier Lampron fils. Elle est décédée le 11 décembre 1921 quelque mois après l'incendie qui a détruit l'église de Saint-Boniface de Shawinigan. Il fallait donc amener le corps dans une chapelle temporaire pour les funérailles. Le cortège funèbre formé dans le quatrième rang est arrivé en retard au village alors que le service était déjà commencé. Pour donner une leçon de ponctualité à ses paroissiens, le curé Joseph-Euchariste Héroux avait décidé de célébrer les funérailles en l'absence du corps.  Georges Lampron lui en a voulu pour ce manque de respect envers sa mère.

Ce n'était pas la première fois qu'on n'attendait pas l'arrivée du corps pour chanter un service. Charles Bellemare, curé de Saint-Boniface de Shawinigan, écrivait à ce sujet le 24 février 1888 :
"Nous faisons la levée du corps sur le perron de l’église ou au plus sur le terrain en face de l’église. (Elles sont rares maintenant les paroisses qui ont conservé l’ancienne coutume d’aller à domicile, faire la levée du corps) et aussitôt le Miserere et le Subvenite chantés, nous commençons immédiatement la messe de requiem, suivie de l’absoute et de l’inhumation au cimetière qui presque partout, dans nos campagnes, environne l’église, et tout est fini, excepté le paiement qui parfois se laisse attendre assez longtemps.

… l’hiver, l’heure réglementaire est huit heures et en été sept heures et, généralement, les plus éloignés de l’église sont les plus exacts. On partira de la maison à 5 et 6 heures du matin, pour arriver à l’église à l’heure juste. Nos gens sont fiers de cette ponctualité. Bien entendu, s’il arrive quelquefois que pour une raison ou pour une autre, on retarde d’arriver à l’église, on attend pour commencer la cérémonie que le corps soit arrivé. Quelques curés ont chanté le service avant l’arrivée du corps quand il y avait un retard notable, mais les gens ont crié et l’autorité a parlé."
(Source : La Normandie et  le Québec vus du presbytère, 1987)
L'anecdote à propos des funérailles de Marie Caron a été racontée par M. Alide A. Desaulniers  (1910-1996) qui était le gendre de Georges Lampron.

samedi 6 novembre 2010

Moïsette Olier

Moïsette Olier était le pseudonyme de Corrine Beauchemin (1885-1972). Elle a épousé en 1929 le docteur Joseph Garceau qui a été le premier médecin de la ville de Shawinigan. Elle est l'auteure de trois romans : L'Homme à la physionomie macabre (1927), Mademoiselle Sérénité (1936), Étincelles (1936) et d'un long poème en prose intitulé Cha8inigane (1934). Elle a été  la première femme écrivain de l'histoire de la ville, du moins la première dont l'oeuvre a été publiée. Sa poésie et ses romans s'inscrivaient dans le contexte du mouvement régionaliste mauricien des années trente qui encourageait la publication d'oeuvres littéraires.

Le poème Cha8inigane est constitué de 14 tableaux dont le suivant qui décrit la ville la nuit. Pour ceux qui connaissent le secteur de la Pointe-à-Bernard, ce passage est particulièrement évocateur : "Deux bras clairs, arrondis en une attitude d'humaine étreinte, les deux bras du Saint-Maurice, entourent la cité et lui font une ceinture en anneaux d'argent". Voici le tableau :
Shawinigan : clair de lune de la Mauricie.

Paysage de lumière et de clochers, sous la balustrade bleue d'un horizon circulaire qu'ouvragent des montagnes.

C'est elle qui allume les lampes de son pays, du même geste secret dont la nuit allume les étoiles du firmament.

Jaillie d'une étincelle électrique, elle s'est épanouie brusquement, comme la radieuse gerbe d'un feu d'artifice.

Axe de l'énergie électrique.

Essor de collines... Le cortège allègre des maisons suit d'un coeur léger toutes les pentes.

On la découvre des hauteurs, et le soir, au fond de sa vallée de silence, elle rutile comme un ciel d'Orient prodigieusement éclairé.

Deux bras clairs, arrondis en une attitude d'humaine étreinte, les deux bras du Saint-Maurice, entourent la cité et lui font une ceinture en anneaux d'argent.

Age quod agis. Fais bien ce que tu fais.

Mot d'ordre qui coalise les gestes futurs en actes de fierté.

(Tiré de Fabien Larochelle, Shawinigan depuis 75 ans).

La Société d'histoire et de généalogie de Shawinigan lui a consacré un texte (ici) dont est tirée la photo présentée plus haut. Notez sur la photo de Corrine Beauchemin le grand collier de perles qui était en vogue dans "les années folles".

Voir aussi sur ce blog : Régionalisme et littérature.

mardi 2 novembre 2010

Des larmes au Paradis

Une religieuse de La Providence de Trois-Rivières supportait mal la vie en communauté. Sa famille lui manquait. Le  jour de Pâques 1935, elle écrivait à sa soeur qui était aussi religieuse mais dans un autre couvent: 
« Comment ais-je bien pu me décider à te quitter pour toujours? Ah! Il n’y a que l’amour du Bon Dieu qui puisse rendre possible un tel sacrifice? Et si j’allais être loin de toi au ciel, loin des chers miens, je crois que pour la première fois il y aurait des larmes au Paradis.»
D'où vient cette idée de "larmes au Paradis" ? On pense tout de suite à la chanson "Tears in Heaven" que le guitariste Eric Clapton a écrite à la mort de son fils. Il y a aussi un téléfilm allemand qui porte ce titre (Tränen im Paradies). Mais tout ce que j'ai pu trouver est beaucoup plus récent que la lettre de la religieuse.

lundi 1 novembre 2010

Les portageux

Dupin, Pierre, Anciens chantiers du Saint-Maurice, Trois-Rivières, Éditions du Bien public, Collection L'histoire régionale no 13, 1953, 224 pages.

Dix-sept articles qui ont paru dans le journal Le Bien public en 1926 ont été rassemblés dans ce volume publié en 1935 et réédité en 1953. L'ouvrage est illustré de dessins de Gaston Boisvert. L'édition de 1953 présente en appendice d'autres documents traitant du même sujet dont un récit intitulé Notes de voyage d'un avocat trifluvien qui décrit l'itinéraire d'un voyage sur le Saint-Maurice des Grandes Piles jusqu'à La Tuque.

Pierre Dupin était le pseudonyme de Télesphore Giroux, professeur au Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières. Il tenait sa connaissance des chantiers de récits que lui avait faits d'anciens travailleurs forestiers. Il nous parle des chantiers tels qu'il existaient entre 1870 et 1890, soit à l'époque où l'on abattait les grandes forêts de pin blanc de la vallée du Saint-Maurice.

On trouve une description du travail des canotiers portageux dans le chapitre intitulé Bourgeois et Portageux qui traite du transport des marchandises en canots d'écorce et des portages qu'il fallait faire à dos d'homme pour franchir les rapides et les chutes. L'auteur y décrit des portages que l'on faisait encore vers 1850-1860, soit avant la construction  de la route qui a relié Shawinigan aux Grandes Piles, la porte d'entrée des chantiers  de la Mauricie. La description du travail des portageux commence à la page 38  :
Aussi, cette nécessité de transporter les marchandises à dos d'homme avait-elle créé une spécialité parmi les canotiers des rivières du Nord : c'était celle de portageux. Pas de place pour les gringalets parmi ces hommes choisis, robustes, habiles à manier la perche et les canots et capables de porter de lourds fardeaux; il fallait des gars bien musclés et d'une endurance peu commune. 

Les canots d'écorce eux-mêmes, appelés rabaska, n'étaient pas les joujoux qu'on emploie dans le monde des sports; c'étaient de grandes embarcations, capables de contenir de quinze à vingt barils de farine avec cinq ou six hommes en plus pour les diriger. Les canots suivaient le bord de la rivière. les hommes armés de longues perches ferrées à un bout, poussaient le canot tout en le maintenant à une distance respectueuse de la rive, pour l'empêcher de crever sur les roches son fond mince et fragile. Il fallait connaître le lit de la rivière, les passes dangereuses et tenir compte des eaux basses. Quand l'embarcation s'arrêtait au pied d'un portage, les canotiers déposaient les perches pour prendre le collier.
Peut-être n'avez-vous jamais vu le collier d'un portageux? Imaginez cet attelage bien connu, qu'on appelle bricolle, formé d'une large bande de cuir appliquée sur le poitrail du cheval et qui se termine, de chaque côté, par des traits dont les extrémités se fixent au palonnier d'une voiture; vous avez là le collier du portageux, avec cette différence que la bande de cuir s'applique sur le front du porteur, tandis que les traits servent à ficeler le bagage porté sur le dos. Ce n'est pas sans raison qu'on l'appelle collier, car celui qui revêt ce harnachement fait un véritable travail de bête de somme.
 Chargé comme un mulet, tête nue ou à peu près, les muscles du visage tendus dans un effort violent, le pauvre forçat marche ployé presqu'en deux, écrasé par le fardeau de cent-cinquante à deux cents livres qui repose sur ses reins et tend à rejeter sa tête en arrière.
... les chemins de portage sont toujours des sentiers rudes, semés de pierres, barrés de racines d'arbres, toujours en montant, puisqu'il s'agit d'atteindre la tête du rapide ou de la chute qui interrompt la navigation. Aussi, quand les portages atteignent les proportions de ceux de Shawinigan et de la Tuque, on peut juger de la dépense de force musculaire fournie par ces rudes tâcherons.

Le fardeau s'alourdit avec la montée qui devient plus raide, la sueur perle sur le visage et la respiration s'accélère. Une racine traîtresse, tendue dans le chemin comme une embuscade, accroche le pied du marcheur qui relève la tête et le corps pour s'empêcher de tomber, dans ce mouvement sauveur, la charge est descendue plus bas entraînant la tête avec elle. Pour soulager les muscles du cou, soumis à une rude tension, les mains saisissent les traits du collier cherchant, mais sans succès, à reprendre la première position. Maintenant, gare aux distractions car la tête est rendue à son dernier cran!
Les gens des chantiers admiraient la force physique. Dupin rapporte les exploits de certains portageux, comme P'tit Louis Descôteaux qui ne prenait jamais moins de trois pièces (300 livres) pour sa charge et qui aurait déjà fait, en une nuit, dix montées successives sur le portage de la chute Shawinigan. Ce même Louis Descôteaux aurait monté une charge de six pièces sur le portage des Hêtres pour battre celle de cinq pièces transportée par Thomas Lahache, un Amérindien de Saint-François-du-lac qui travaillait avec lui.