mercredi 16 décembre 2009

Duplessis admirait-il Hitler?

Dans ses mémoires, Léon Balcer (1917-1991), qui fut député progressiste-conservateur de Trois-Rivières de 1949 à 1965 et ministre sous Diefenbaker, raconte un échange auquel il a assisté entre Maurice Duplessis alors premier ministre du Québec et le consul d'Allemagne nouvellement nommé.

Au début des années cinquante, jeune député fédéral, je me trouvais à Québec et j'en profitai pour aller saluer le premier ministre et régler quelques petits problèmes qui intéressaient nos électeurs de Trois-Rivières. Je téléphonai à Mademoiselle Cloutier pour prendre rendez-vous. Elle m'invita à me rendre au bureau du premier ministre vers 9h45 en me disant que même si ce dernier avait un agenda bien chargé il pourrait me voir juste avant le nouveau consul d'Allemagne qui avait rendez-vous à 10 heures.

Nous réglâmes rapidement nos petites affaires et, comme Mademoiselle Cloutier entrait pour annoncer le diplomate, j'étais déjà debout prêt à prendre congé. Monsieur Duplessis me dit : "Non, non va-t-en pas, ce n'est qu'une visite de courtoisie qu'il me fait. Il vient d'arriver au pays."

Je lui répond que je ne voulais pas déranger.

Il insiste : "Non, non c'est une bonne chose que tu le rencontres. Et puis, entre toi et moi, les diplomates européens ne m'impressionnent pas outre mesure. Je suis capable de leur parler."

Ça promettait!

Je vois entrer l'Allemand. Un visage raffiné, très grand, d'une maigreur frappante, résultat de plusieurs années passées dans les prisons hitlériennes. En somme, ce démocrate, ami d'Adenauer, avait dans son visage une expression de souffrance passée qui m'inspirait le plus grand respect.

Après lui avoir serré la main, le premier ministre lui dit : "Je vous présente le député fédéral de Trois-Rivières, c'est un boche comme vous!"

Sans doute aujourd'hui le mot boche ne s'emploie plus mais pour les gens de ma génération, et surtout pour ce consul, le mot avait un lourd sens péjoratif.


Je vis dans les yeux du diplomate qu'il se demandait s'il avait bien compris. C'est alors que monsieur Duplessis commence un long monologue où il donne son interprétation de l'histoire de l'Allemagne contemporaine.
À un moment donné, il ajoute sur un ton catégorique : "Vous savez, Hitler, qu'on l'aime ou qu'on l'aime pas, était un des plus grands orateurs des temps modernes."

Je vois sur le visage du diplomate une expression d'incrédulité totale. Je suis convaincu qu'il ne pouvait comprendre que quelqu'un puisse lui dire une telle énormité.


Duplessis crut qu'il mettait en doute son affirmation et enchaîna : "Oui, oui, je sais ce dont je parle, parce que je l'ai entendu moi-même en plein milieu de l'Atlantique sur le Normandie. La radio nous transmettait un discours qu'il prononçait devant 50 000 personnes. C'était quelque chose à entendre! Extraordinaire!"


Après un moment de silence, le consul fit simplement remarquer qu'à l'endroit où il était incarcéré, il n'y avait pas de radio.


Duplessis ne fut pas plus ému et continua sur le même ton sa dissertation pour finalement terminer sur la thèse suivante : "Aujourd'hui tout le monde blâme Hitler de tous les péchés du monde, mais l'histoire devra admettre que c'est lui qui dans les années trente a sauvé l'Allemagne du communisme. Prenez-en ma parole!"

Son interlocuteur n'en revenait pas. Il était d'une pâleur extrême. Il se retira le plus tôt qu'il pu.

Monsieur Duplessis me dit alors en guise de conclusion : "Tu sais, ces Européens-là il faut leur parler. Il ne faut pas se gêner."


- Mais quand même est-ce que vous ne trouvez pas que vous avez été un peu raide au sujet d'Hitler. Cet Allemand, lui, a passé des années de sa vie en prison à cause d'Hitler.

- Il ne faut pas s'en faire. Il ne faut pas se laisser impressionner.

Pour ma part, je n'ai jamais eu aussi hâte de quitter un bureau de premier ministre.


Voir aussi : La Vierge est en prison à Boston

Joyeux Noël 1913

Un carte postale de Noël postée à Trois-Rivières le 25 décembre 1913. Elle est adressée à une Demoiselle Corinne D'Auteuil qui habitait sur la rue Saint-Jean dans la ville de Québec. "Je vous souhaite une joyeuse fête de Noël. La personne au verso de cette carte ressemble beaucoup à Jeanne Duplessis la plus jolie fille de Trois-Rivières dont je vous ai déjà parlé." Le message n'est pas signé.

C'est une photo coloriée prise en studio sur laquelle on a ajouté de la fausse neige. Remarquez l'inclinaison de la tête et la position de la main gauche qui sont typiques de l'expression dramatique à l'époque du cinéma muet. La tache noire sur l'épaule est due au tampon de la poste.

L'ancien premier ministre du Québec Maurice Duplessis avait une soeur prénommée Jeanne qui est née à Trois-Rivières le 15 septembre 1888. Elle avait donc 25 ans en 1913. Elle a épousé Henri Balcer, le fils d'un industriel local, le 8 janvier 1919. Maurice Duplessis habitait chez elle quand il était dans son comté à Trois-Rivières. Était-ce la Jeanne de la carte?

mardi 15 décembre 2009

La Loi des douze enfants

Dans un épisode de l'ancien téléroman "Les Belles histoires des pays d'en-haut", le colon Basile Fourchu, père de treize enfants vivants, recevait du gouvernement une "terre en bois deboute".

En 1890, le gouvernement d'Honoré Mercier observant «qu'il convient, à l'exemple de tous les siècles, de donner des marques de considération à la fécondité du lien sacré du mariage», fait voter une loi intitulée «Acte portant privilège aux pères ou mères de famille ayant douze enfants vivants». Cette loi accordait gratuitement cent acres de terre publique, ou bien une prime d’un montant de cinquante dollars, aux parents de douze enfants vivants, nés en légitime mariage.

Pour se prévaloir des dispositions de la loi, tout père ou mère de famille admissible devait présenter une requête au secrétaire de la province, accompagnée de son acte de mariage, d'un extrait de naissance de chacun de ses enfants ainsi que d'un certificat devant un juge de paix, constatant le nombre de ses enfants et leurs noms. Les cent acres de terre devaient être choisis parmi les terres publiques propres à la culture, en vente et disponibles au moment du choix, dans le canton, la paroisse ou le territoire non organisé où le requérant demeurait ou, sinon, dans celui le plus rapproché de son domicile.

En vertu de cette loi, Elzéar Bourassa et Odélie Gélinas du Grand Quatre de Saint-Boniface ont reçu le lot numéro 48 du rang 6 du canton Shawinigan (Saint-Boniface). Leur demande d’octroi est datée du 26 décembre 1901. Elle a été signée par le curé Joseph-Télesphore Gravel de Saint-Boniface sur un formulaire intitulé « Certificat des pères (mères) à l’effet qu’il (elle) a douze enfants vivants ». Le formulaire est accompagné d’une copie de l’acte de mariage inscrit au registre de la paroisse de Saint-Boniface. En guise de signature, Elzéar Bourassa a marqué ce formulaire d’une croix.

Cinq autres familles de Saint-Boniface ont profité de cette mesure qui a été abolie en 1905 :

- Jean-Alexis Gélinas et Adélina Pellerin;
- Prosper Lamy et Élisa Milot;
- Jean Matteau et Adéline Desaulniers;
- Augustin Lambert et Philomène St-Onge;
- Antoine St-Onge et Eutychiane Lamothe.

Antoine St-Onge et son beau-frère Augustin Lambert, ont acquis des terres dans ce qui est devenu la paroisse Saint-Marc de la haute-ville de Shawinigan. Ils devenaient ainsi les pionniers de ce secteur de la ville, autrefois appelé village St-Onge. Deux rues ont été nommées en leur honneur et le parc Saint-Marc a été renommé parc Atoine St-Onge il y a quelques années.




Les familles de douze enfants n’ont pas toutes profité de ces octrois. Les formalités administratives ont pu décourager certaines. D’autres ignoraient peut-être même l’existence de cette mesure.

Les dossiers de demande d’octrois gratuits de terres aux familles de douze enfants vivants sont conservés à Québec aux Archives nationales.